Le maintien dans les lieux en tant que locataire des accédants en difficulté
ANIL, extrait d'Habitat Actualité, septembre 2009
Pour venir en aide aux accédants à la propriété victimes de la crise, est-il avisé de recourir aujourd’hui à la procédure mise au point en France dans les années 80 et qui consistait à racheter le logement des accédants en difficulté pour leur permettre d’en rester locataires ? Si aujourd’hui, en France, le taux des défaillances d’emprunteurs ne s’est pas accru du fait de la crise financière, comme c’est le cas dans certains pays et si le nombre de saisies est resté anecdotique, il est à craindre que dans les mois qui viennent cet état de choses se dégrade. La crise économique et la montée du chômage placeront nombre d’accédants en difficulté pour faire face à leurs échéances de remboursement. La plupart des pays ont adopté, ou s’apprêtent à le faire, des dispositions pour venir en aide à des ménages victimes d’une situation dans laquelle ils ne portent aucune responsabilité . Il s’agit souvent de ménages modestes qui n’ont pu réaliser leur souhait de devenir propriétaires, que grâce à l’aide incitative de la collectivité.
Les dispositifs de prévention adoptés par les pays européens
Les mesures déjà adoptées ou à l’étude ont toutes pour objectif d’aider les ménages à poursuivre leur projet ou, lorsque cela apparaît impossible, de leur permettre de se maintenir dans leur logement.
Les moyens sont principalement de deux ordres : la réduction des mensualités accompagnée d’un allongement de la durée de remboursement du prêt et, lorsque la vente est inévitable, le rachat partiel ou total du logement par un organisme d’HLM et le maintien de l’occupant en tant que locataire, formule qui s’accompagne en général d’une clause de retour éventuel au statut de l’accédant, en cas d’amélioration de la situation du ménage. Le rapport remis au président du Conseil National de l’Habitat, Michel Piron, par Michel Mouillart et Marie-Christine Caffet s’inscrit dans cette même logique, assorti de modalités qui expriment la volonté des organisations syndicales de jouer un rôle actif, grâce au 1% logement, dans la mise en œuvre du dispositif.
Rien de nouveau sous le soleil, pourrait-on dire, si ce n’est que dans les années 80, l’allègement des charges de remboursement était aisé à mettre en œuvre : la plupart des accédants modestes avaient souscrit, majoritairement auprès du Crédit Foncier, des prêts PAP, réglementés et bonifiés : l’Etat en avait unilatéralement baissé le taux en supportant le coût de la mesure. De surcroît, la plupart des autres emprunteurs avaient pu tirer parti de la baisse des taux pour renégocier leur prêt. Mais, la baisse des mensualités n’avait pas été suffisante pour permettre à tous les accédants de poursuivre leur opération, notamment ceux qui avaient des difficultés professionnelles. C’est à leur intention qu’avait été imaginé le RAPAPLA / Rachat d’un PAP par un PLA, c'est-à-dire le rachat par un organisme d’HLM au moyen d’un prêt locatif aidé d’un logement en accession financé par un prêt aidé à l’accession à la propriété.
L’objectif consistait donc à permettre à un ménage qui ne pouvait pas faire face à ses charges de remboursement de rester dans son logement en tant que locataire et de lui garantir qu’en cas de retour à meilleure fortune, il pourrait reprendre le cours de son projet d’accession. On se reportera à l’étude publiée en février 1998 avec l’ADIL de Meurthe-et-Moselle pour la description détaillée de la procédure .
Depuis 1992, 213 opérations ont été conduites et réalisées dans ce département. Elles n’ont pas été cantonnées aux projets initialement financés avec des PAP. Passée la vague des opérations des années 1980, victimes de la désinflation et des prêts à taux fixes mais à mensualités progressives, les effectifs se sont heureusement réduits, mais on a continué à recourir à ce moyen pour venir en aide à des ménages de bonne foi qui risquaient de perdre leur logement. Ainsi l’ADIL de Meurthe-et-Moselle a-t-elle accompagné 4 rachats depuis le début de 2009.
Les résultats de cette expérience justifient-ils qu’une procédure identique soit remise à l’ordre du jour pour faire face aux conséquences de la crise actuelle ? Les premières opérations sont maintenant suffisamment anciennes pour qu’il soit possible de dresser un bilan et de voir si les objectifs ont été atteints.
Les accédants devenus locataires sont-ils restés dans leur logement ? Se sont-ils acquittés de leur loyer ou les impayés locatifs ont-ils fait suite aux impayés d’accession ? Combien d’entre eux ont pu faire le chemin inverse et redevenir propriétaires ? Quels sont les ménages qui ont pu bénéficier de ces opérations ? Quels sont les opérateurs qui ont accepté de jouer le jeu ? Quelles modifications conviendrait-il d’apporter au système ?
L’ADIL de Meurthe-et-Moselle, qui a été la cheville ouvrière de ces opérations dans son département, a dressé avec l’aide de ses partenaires un bilan qui permet de répondre à ces questions.
Cinq organismes ont pratiqué de telles opérations (Meurthe & Moselle Habitat, OPH de Nancy, OPH de Toul, OPH de Lunéville, la SA Batigère) qu’ils estiment conformes à leur objet social. Leur souci est d’affirmer leur rôle social et de répondre, aujourd’hui, aux objectifs du plan départemental d’action en faveur du logement des personnes défavorisées, quant au nombre de PLA-I à réaliser.
Les données disponibles ne sont pas toutes homogènes, car les pratiques de gestion de ces opérateurs ne sont pas identiques. Cependant, les informations qu’ils ont transmises à l’ADIL et qui portent sur près de 200 opérations fournissent des ordres de grandeur satisfaisants pour répondre aux questions énoncées plus haut.
Accédants et opérations
Les ménages sont majoritairement des accédants, mais les cas des propriétaires victimes d’une liquidation professionnelle ne sont pas rares ; c’est notamment la situation rencontrée par d’anciens salariés de la sidérurgie, qui se sont mis à leur compte grâce aux indemnités de licenciement et qui n’ont pas pris la précaution de mettre leur résidence principale à l’abri d’une éventuelle défaillance de leur entreprise. Parmi eux, certains sont propriétaires du logement qu’ils sont contraints de vendre à la suite de la liquidation professionnelle. On trouve également des propriétaires libérés de tout emprunt immobilier, qui sont actionnés en garantie, parce qu’ils se sont portés caution pour l’un de leurs enfants. Ces cautionnements ont notamment été accordés dans le but de permettre à ces derniers d’obtenir un prêt pour la création d’une entreprise. En cas d’échec de l’entreprise, le créancier met en jeu la garantie, et les garants sont tenus de vendre leur résidence principale.
Les opérations concernent pour 2/3 de la construction neuve et pour 1/3 de l’achat d’ancien, mais dans les deux cas, essentiellement des maisons individuelles.
Phénomène singulier, il ne s’agit pas de sinistres précoces, puisque la moyenne de la durée qui sépare la date de l’opération de la date du rachat est de 12 ans. Les premières opérations qui ont donné lieu à rachat ont été entreprises en 1992 et les plus récentes en 2007, sachant que le plus fort contingent concerne les années 1981 à 1996. Les opérations les plus récentes sont financées en PLA-I sur 32 ans pour le logement et sur 50 ans pour le foncier (deux prêts de la Caisse des dépôts et consignations). S’y ajoutent une subvention soit de l’Etat ou de l’établissement public de coopération intercommunale qui a la compétence d’aide à la pierre (par exemple la Communauté urbaine du Grand Nancy) qui est de l’ordre de 10% à 20% du coût de l’opération, des fonds du 1% logement et des fonds propres de l’organisme, lorsque cela s'avère indispensable.
Les accédants défaillants deviennent-ils de bons locataires ?
Le sentiment des organismes interrogés est que les loyers sont payés très régulièrement ; il n’est cependant pas possible de l’affirmer avec une absolue certitude car ces locataires ne font pas l’objet d’un suivi distinct des autres locataires.
Les conditions du retour à la propriété
Seuls deux organismes ont assorti le contrat d’achat d’une promesse de vente permettant au locataire, à l’issue d’un délai légal de 10 ans, de redevenir propriétaire au prix du capital restant dû sur le prêt locatif. L’acte authentique prévoit également que le bénéficiaire de la promesse conservera la possibilité de lever l’option jusqu’au complet amortissement du prêt. A l’issue de l’amortissement du prêt, la vente pourra se faire pour le franc symbolique. La promesse de vente est consentie à la condition que le locataire exécute à ses frais l’ensemble des réparations locatives et de gros oeuvre. Certains locataires n’ont pas pu respecter cette obligation. C’est la raison qui incite les organismes à faire une visite des lieux, au moins une fois par an, pour s’assurer que l’entretien et les réparations sont bien assurés. Il arrive qu'un ménage ne puisse pas supporter le coût des travaux nécessaires ; l'organisme fait alors l'avance des fonds que la famille rembourse dans un délai compatible avec ses moyens, gardant ainsi le bénéfice de la promesse de vente. Les organismes qui n’ont pas inclus une telle promesse dans le contrat ne s’interdisent pas pour autant de procéder à des ventes dans les mêmes conditions. En effet, la plupart des organismes souhaitent revendre ces logements à leurs occupants.
Le retour à la propriété peut donc survenir à l’issue du rachat du logement par le locataire ou du fait de son décès, à la condition que l’organisme ait souscrit une assurance décès au profit du locataire. C’est ce que font deux organismes, sur les cinq, qui accompagnent le rachat d’une promesse de vente.
Rachat volontaire et décès
Sur 213 opérations réalisées depuis 1992, 139 ont plus de 10 ans et sont donc éligibles au rachat, dont 105 ont été le fait des deux organismes qui pratiquent de façon systématique le bail accompagné de la promesse de vente.
Seuls 25 occupants ont racheté le logement, mais il est possible que d’autres aient l’intention de le faire, après un plus long délai.
13 dossiers de locataires accédants décédés ont fait l’objet d’un traitement. Seuls 2 de ces locataires n’étaient pas couverts par l’assurance, car ils avaient été considérés comme trop âgés à la date du rachat. Deux organismes ont en effet pris la précaution de souscrire une assurance décès invalidité sur le prêt PLAI, assurance à 100% sur chacune des personnes propriétaires du logement racheté. Le coût de l’assurance (environ 3,3% par personne sur le capital emprunté) est répercuté dans le prix du loyer.
Si le décès intervient avant que le délai de 10 ans se soit écoulé depuis le rachat, l’organisme n’est pas autorisé à revendre le bien. Le loyer dû par le ou la locataire survivant sera diminué du montant correspondant à la mensualité du prêt ; de ce fait, le loyer ne comportera pratiquement plus que la part de la taxe foncière et des frais de gestion. A noter que si les deux propriétaires sont décédés, et que les enfants vivent dans le logement, il est prévu que l’organisme rétrocède le bail et la promesse de vente aux héritiers. Si le logement n’est plus occupé, l’organisme récupère la jouissance du logement et selon l’état de celui-ci et sa localisation, le revend ou le met en location en logement adapté. Si le décès se produit après 10 ans de location ou plus, la revente au locataire a lieu à l’euro symbolique.
Quel bilan peut-on tirer de ces 15 ans de pratique du rachat HLM ?
Le jugement est majoritairement favorable, même si aucun ménage redevenu propriétaire ne souhaite que son expérience soit médiatisée, fût-ce à titre d’exemple. Les opérateurs estiment que nombre de locataires-accédants sont parvenus à effacer l’échec de leur opération d’accession : ils ont le sentiment d’être toujours propriétaires. Peut-être est-ce dû au fait qu’ils souhaitent et pensent possible de le redevenir et que leur situation ne constitue qu’une parenthèse dans un projet qui s’est trouvé contrarié.
C’est peut-être là qu’il faut voir la réussite de cette procédure, qui concerne des effectifs restreints et exige un accompagnement assez lourd, mais qui mérite d’être utilisée chaque fois qu’elle permet à une famille de surmonter un échec dû à des circonstances dont elle n’est pas responsable.