Régulation du marché et crise systémique
ANIL, Habitat Actualité n° 105, juillet 2008
Les Government sponsored enterprises sur lesquelles repose le financement du logement aux Etats-Unis, Fannie Mae et Freddie Mac, sont aujourd’hui en grande difficulté et pour des fautes qu’elles n’ont pas commises.
Rappelons que la politique d’aide à l’accession à la propriété du gouvernement fédéral américain repose principalement sur deux piliers : la déduction des intérêts d’emprunts, dont l’efficacité sociale est très discutée, et la garantie de l’accès au crédit des ménages appartenant à des groupes cibles déterminés : projets situés dans des quartiers menacés par la déshérence, ménages disposant de revenus inférieurs à 60 % des revenus médian de la zone, minorités ethniques, mères de famille isolées et anciens combattants. Le système a deux niveaux : les prêts consentis par les prêteurs privés aux plus modestes sont garantis par la Federal Housing Administration (FHA). La Farmers Home Administration (FaHA), qui dépend du ministère de l’Agriculture, fait la même chose dans le milieu rural et le Veterans Affairs (VA) au profit des anciens combattants ; les autres prêts sont titrisés par deux sociétés dotées d’actionnaires privés, mais contrôlées par le ministère du logement. Il s’agit de la Federal National Mortgage Association, dite FannieMae et de la Federal Home Loan Mortgage Corporation, dite FreddieMac. S’y ajoute une agence fédérale, la Government National Mortgage Association / GinnieMae, pour les prêts les plus sociaux garantis par la FHA.
FannieMae achète les prêts hypothécaires conventionnels non garantis par la FHA et émet en contrepartie des Mortgage Backed Securities, dont elle garantit le paiement des intérêts et du principal en son nom propre. FreddieMac a été créée en 1970 pour faire la même chose que FannieMae, mais pour les prêts vendus par les caisses d’épargne. Un autre réseau existe, celui des douze Federal Home Loan Banks, chargé à l’origine d’assurer le refinancement des caisses d’épargne, maintenant ouvert à l’ensemble des banques : il émet des obligations sur le marché en contrepartie des créances qui sont conservées en portefeuille. Il est fédéré par la Federal Home Loan Bank Corporation.
Aujourd’hui, FannieMae et FreddieMac sont directement concurrentes. Elles ont l’obligation d’être actives sur l’ensemble du territoire et ont un certain nombre d’objectifs quantifiés concernant les emprunteurs appartenant aux catégories mentionnées précédemment. En contrepartie, elles bénéficient d’avantages fiscaux, d’une ligne de crédit du Trésor, à laquelle elles pourraient recourir en cas de besoin, et surtout d’une garantie dite implicite qui leur permet d’emprunter à des taux proches de ceux du Trésor américain. Cette garantie implicite traduit le fait que les investisseurs sont convaincus que l’Etat serait contraint d’intervenir en cas de difficultés (too big to fail !). Cette situation est dénoncée depuis longtemps par une partie du Congrès, les Républicains pour l’essentiel, qui estime qu’elle fait porter le risque final par le contribuable. Cette garantie implicite et l’ensemble des avantages dont bénéficient les deux agences avaient été estimés par l’office budgétaire du Congrès à 6,5 milliards de dollars en 1995. Mais s’il est possible de remettre en cause une garantie explicite, il est par nature impossible de le faire pour une garantie « implicite » ; comment supprimer ce qui n’est que présumé ? Une telle démarche aurait eu pour conséquence de jeter le doute, hors de toute situation de crise, sur la qualité de la garantie apportée aux acheteurs de titres hypothécaires par les agences de titrisation.
Certaines demandes des emprunteurs ne trouvaient pas de réponse dans le cadre défini par FannieMae et FreddieMac, à commencer par celles qui sont d’un montant supérieur à un certain montant, les jumbo loans. C’est également le cas des emprunts souscrits par les emprunteurs présentant des risques particuliers, notamment parce qu’ils ont une mauvaise credit history, les subprime loans, qui étaient l’objet d’une concurrence très vive entre les prêteurs. Fannie Mae avait commencé d’intervenir sur le marché subprime, alors que Freddie Mac venait de prendre la décision de le faire lorsque la crise a éclaté. Pourtant les deux sont aujourd’hui présentés comme au bord de la faillite. Plusieurs facteurs l’expliquent, dont il n’est pas possible aujourd’hui de déterminer l’influence respective. Si ni l’une ni l’autre des GSE ne semble avoir titrisé des créances subprime mal évaluées, elles ont en revanche acheté des créances subprime titrisées par d’autres organismes, comme l’ont fait au demeurant des banques dans le monde entier. Elles ont procédé ainsi pour atteindre le quota de prêts « sociaux » que leur statut leur impose, mais surtout dans l’espoir d’améliorer leur rentabilité. L’essentiel de leurs pertes provient probablement de l’effondrement du marché immobilier. Le retournement des prix a d’abord touché les prêts les plus risqués, notamment les toxic loans comportant des taux d’appel. Les premières ventes ont accéléré la chute des prix et la crise est devenue systémique. Au demeurant, selon les spécialistes, les craintes sont exagérées et relèvent davantage d'un sentiment général sur l'état du marché financier que d'une logique comptable ; tant Fannie Mae que Freddie Mac soulignent que leur niveau de fonds propres est très satisfaisant, voire à un niveau très élevé dans le cas de Fannie Mae, qui a encore levé 7,4 milliards de dollars en mai. Quant à Freddie Mac, il a assuré n'avoir "aucune obligation de lever du capital à court terme". Le rôle de Fannie Mae et de Freddie Mac est de garantir les créances qu’elles titrisent et elles sont normalement appelées en garantie. C’est la que la discussion théologique entre garantie explicite et garantie implicite de l’Etat va se dénouer : de fait, quels que soient les termes de la convention qui lie les GSE et l’Etat, celui-ci ne peut pas se désintéresser du sort d’organismes sur lequel l’ensemble du financement de logement est assis. Le gouvernement fédéral était intervenu de la même façon lors de la crise des Caisses d’épargne. Economie de marché ne veut pas dire abstention de la puissance publique, surtout lorsque la crise est systémique et qu’elle trouve son origine dans une défaillance de la régulation. C’est ce que les pouvoirs publics reconnaissent en annonçant également une réforme des conditions de protection des emprunteurs, qui prendra effet en octobre 2009. Les prêteurs seront tenus de s’assurer de la capacité de remboursement des emprunteurs, de la valeur de leurs actifs et de consigner les sommes qui correspondent aux taxes foncières, (que les locataires ne paient pas), et au montant de l’assurance obligatoire du logement donné en garantie, sommes qui sont à la charge de l’emprunteur. Enfin, les indemnités de remboursement anticipées seront très limitées et mêmes proscrites pour les prêts donnant lieu à des mensualités changeantes pendant les quatre premières années. La FED répond ainsi aux critiques des Démocrates qui accusent la banque centrale d’avoir négligé ses responsabilités en matière de protection du consommateur.