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Allongement des prêts et marges de manoeuvre des accédants

ANIL, Habitat Actualité n° 105, juillet 2008


Le souvenir des difficultés des accédants des années 80 est encore très présent dans les esprits, ce qui explique que le surendettement fasse toujours figure de risque majeur. Pourtant la sinistralité sur les prêts à l’accession est aujourd’hui très faible. C’est du reste l’argument qui avait été mis en avant par les pouvoirs publics en 2006 pour justifier le siphonage des réserves du Fonds de garantie de l’accession sociale, lesquelles réserves étaient destinées à faire face aux sinistres futurs. On n’est pas pour autant quitte avec le risque et l’avenir dira s’il n’y a pas quelque imprudence dans l’allongement des durées, lorsqu'il concerne les accédants les plus modestes, ou pour être précis ceux qui n'ont pas de perspectives d'accroissement de leurs revenus réels. Mais, en tout état de cause, s’agissant de prêts très longs, plus qu’à un éventuel surendettement, c’est au maintien des marges de manœuvre de l’accédant et à sa mobilité potentielle que doivent s’attacher ceux qui réfléchissent aux modalités d’accession à la propriété. C’est vrai pour les établissements qui mettent au point le profil de leurs produits, mais plus encore pour ceux qui définissent le cadre réglementaire de l’accession à la propriété.

Pour être clair, aujourd’hui, les marges de manoeuvre des ménages constituent un enjeu plus stratégique que leur niveau d’endettement. Les conditions initiales des prêts sont définies en fonction des possibilités de remboursement du ménage au moment de la souscription, mais il est évident que, sur 30 ans ou plus, les évolutions sont difficilement prévisibles. La possibilité pour le ménage de se dégager d’une opération avant son terme ou de modifier la part qu’il consacre chaque année à son financement, et de le faire à moindre coût, devient donc essentielle.

L’accroissement du nombre de propriétaires -l’objectif des pouvoirs publics est que plus de 2/3 des ménages le soient- s’accompagnera nécessairement de la progression de la part des accédants, c'est-à-dire de ceux qui ont un prêt en cours d’amortissement. Or ces ménages ont des liens familiaux moins stables que par le passé et devront s’adapter à un marché du travail plus flexible. Peut-on à la fois les encourager à souscrire des emprunts de très longue durée pour accéder à la propriété et mettre des obstacles à leur mobilité ou leur imposer de lourdes pénalités financières s’ils souhaitent adapter leur conditions de remboursement à l’évolution de leurs ressources. Ce n’est pas en corsetant les emprunteurs dans des engagements financiers de longue durée, coûteux à remettre en cause que l’on développera l’accession. Au demeurant, si la spécificité française en matière de crédit au logement reste très forte, -modicité et homogénéité des taux, faible sinistralité, non-prise en compte de la valeur du gage, faible complétude de l’offre -, la filière de crédit évolue dans le même sens que celle des autres pays développés : les durées des prêts s’allongent et les nouvelles modalités d’extraction hypothécaire (prêt viager hypothécaire et hypothèque rechargeable) destinent les prêts hypothécaires à des usages plus divers que le seul financement du logement. Tout cela amorce une transformation du rapport des Français avec le crédit au logement.

Le maintien de taux à des niveaux très bas par rapport à la décennie 80 s’est traduit par une hausse des prix et par un allongement des durées de près de 10 années depuis 1993, de sorte qu’accéder à la propriété exige aujourd’hui un effort financier bien supérieur à ce qui était la règle il y a quelques années : pour un accédant moyen, le prix d’achat qui était de l’ordre de 3 à 3,5 années de revenu en 1996 représente aujourd’hui plus de cinq années de revenu. L’augmentation des prix touche surtout les primo-accédants, majoritairement des jeunes. Dès lors, est-il déraisonnable de leur prêter sur de très longues durées ? Non, si leur engagement n’entrave ni leur mobilité, ni leur capacité à modifier le rythme de leur remboursement au gré de l’évolution de leurs charges, de leurs ressources, régulières ou exceptionnelles. Observons qu’il n’y a pas de lien entre mobilité des ménages et durée initiale des prêts : alors que la mobilité des ménages américains est à peu près le double de celle des ménages français, la durée initiale de la plupart des prêts est de 30 ans et ces derniers font l’objet de refinancements fréquents.

Plus la durée initiale du prêt est élevée, moins le rythme de remboursement effectif sera conforme au plan d’amortissement prévisionnel. Un emprunt sur une très longue durée exprime un arbitrage à un moment donné entre le montant consacré à l’achat immobilier et le budget consacré à d’autres dépenses, entre la location d’argent et les autres emplois. L’allongement des durées doit donc avoir pour corollaire une plus grande flexibilité du prêt. Cela suppose que l’emprunteur ait une gestion plus active de son endettement. Pour cela, il doit pouvoir facilement, c'est-à-dire à un coût modique, modifier son plan d’amortissement. L’informatique a rendu ce type d’opération aisée pour l’établissement de crédit, il ne faudrait pas que le cadre légal ou contractuel le contrarie.

La crise des subprime a offert une illustration extrême des effets de la suppression de liberté de manœuvre des emprunteurs : la Federal housing administration et les Governement sponsored enterprises (Fannie Mae et Freddie Mac), proscrivaient les indemnités de remboursement anticipé pour les prêts sociaux à taux fixe qu’ils assuraient ou titrisaient. C’est ce qui a conduit les prêteurs qui se tournaient vers les emprunteurs subprime à passer par d’autres circuits de refinancement; ces emprunteurs se sont trouvés prisonniers des prêts, de surcroît particulièrement trompeurs, qu’ils avaient souscrits.

C’est la raison pour laquelle les conseillers des ADIL doivent être particulièrement vigilants, lors de l’étude des plans de financement, pour éviter les modalités de prêts qui brident la liberté de mouvement des emprunteurs. Deux formules doivent être écartées, les formules dites de sécurisation des prêts à taux variable qui ne portent que sur le plafonnement de l’allongement des durées et celles qui limitent les possibilités de remboursement anticipé du prêt principal lorsqu’il est associé à un prêt à taux zéro.

Il faut mettre en évidence le fait que seul un cap de taux suffisamment faible constitue une sécurité pour l’emprunteur à taux variable. Le seul plafonnement des durées n’a pas d’impact sur le capital restant dû en cas de remboursement anticipé. L’accédant peut tout à fait choisir d’emprunter à taux variable, mais à la condition de le faire consciemment. Les formules dites sécurisées, qui ne limitent que l’allongement de la durée de remboursement, sont de nature à tromper des emprunteurs qui pour la plupart rembourseront par anticipation leur prêt et qui découvriront à cette occasion que cette fausse sécurisation a été sans effet sur leur dette. Au demeurant, ces dispositifs n’ajoutent rien par rapport aux prêts modulables offerts par la plupart des établissements prêteurs et qui offrent l’avantage de permettre à l’emprunteur de décider lui-même des variations de sa mensualité.

Un autre type de clause rencontrée dans certains contrats de prêt prévoit qu’en cas de remboursement partiel anticipé, les sommes remboursées devaient s’imputer prioritairement sur les prêts à faible taux, prêt à taux zéro ou prêt bonifié par la collectivité, par exemple le prêt Paris Logement (PPL) de la ville de Paris.

Voyons quelles en sont les conséquences économiques en s’appuyant sur l’exemple d’un plan de financement comprenant :

  • un prêt de 60 000 € à 5 % sur 22 ans,
  • un PTZ de 27 500 € avec un différé de 216 mois.

Supposons que l’emprunteur souhaite, à l’issue de la 5ème année, (60ème échéance) rembourser 30 000 €.

  • Remboursement partiel du seul prêt principal
    Il va sans dire que l’intérêt de l’accédant, en cas de plan de financement associant plusieurs prêts, est de rembourser prioritairement le prêt le plus coûteux (1) . Le remboursement de 30 000 € lui coûte 750 € (2) .

  • Imputation prioritaire du remboursement partiel sur le PTZ
    Supposons maintenant que l’emprunteur soit tenu, par une clause contractuelle, d’imputer prioritairement le remboursement anticipé sur le PTZ (3) , les 30 000 € de remboursement anticipé s’imputent à compter de 27 500 € sur le PTZ et de 2500 € sur le prêt à 5 %). L’indemnité de remboursement anticipé est de 62,5 € sur le prêt principal et le remboursement anticipé du PTZ correspond à une perte actuarielle de 11 417 € pour l’accédant, puisque l’emprunteur perd le bénéfice de l’absence d’intérêt à laquelle il avait droit, et donc à un gain équivalent pour l’établissement prêteur.
    Le coût réel pour le particulier du remboursement anticipé partiel du prêt principal à 5 % de 2 500 € est donc de 11 417 € + 62,5 € soit un coût de 11 480 €.
    Le coût réel du remboursement anticipé est très largement supérieur au montant du capital  du prêt non aidé remboursé par anticipation. Le résultat d’une telle clause est d’interdire de fait tout remboursement anticipé partiel d’un prêt dès lors qu’il est associé à un prêt à taux zéro.
  • Imputation proportionnelle du remboursement partiel sur l’ensemble des prêts
    On s’attendait à ce que l’engagement pris par les établissements de crédit à l’issue du rapport Lefebvre proscrive clairement cette pratique. En fait, l’engagement des organisations professionnelles du secteur du crédit se limite à l’exigence d’une affectation proportionnelle du remboursement anticipé sur les divers prêts associés au plan de financement.
    Reprenons le même exemple. A l’issue de la 5ème année, le capital restant dû du prêt à 5 % est de 51 488 €.
    Le remboursement anticipé partiel s’impute pour 19 550 € sur le prêt à 5 % et pour 10 450 € sur le PTZ. L’indemnité de remboursement anticipé sur le prêt principal à 5 % est de 489 € et la perte actuarielle sur le remboursement anticipé partiel du PTZ est de 4 338 €. Le coût total du remboursement anticipé partiel de 19 550 € sur le prêt à 5 % est donc de 4 827 €, soit près de 25 % du montant du capital remboursé par anticipation.

Dans l’exemple qui précède, l’aide publique aura permis à l’établissement de crédit de ligoter l’emprunteur. Il s’agit donc clairement d’un détournement de l’esprit de la loi Scrivener, qui avait pour objet de préserver les possibilités de remboursement anticipé d’un prêt. De plus, comme on l’a vu, depuis le vote de la loi, la durée moyenne des prêts s’est allongée de près 10 ans.

Les ADIL devront donc veiller dans le conseil qu’elles donnent aux accédants à ce que ces derniers ne signent pas de contrat comprenant de telles clauses et de façon plus générale à inciter les collectivités locales qui les consultent et qui mettent en place des prêts locaux à taux zéro, à proscrire explicitement ce type de clause dans les conventions qu’elles signent avec les établissements de crédit. On dit les français trop méfiants à l’égard du crédit, le moins que l’on puisse dire est que tout n’est pas fait pour les aider à changer d’attitude.


Notes

1. Le remboursement total du prêt principal introduirait une rupture du flux de remboursement entre l’emprunteur et le prêteur et devrait donc s’accompagner du remboursement du PTZ.

2. La loi Scrivener plafonne l’indemnité pour remboursement anticipé à 6 mois d’intérêt ou à 3 % du CRD remboursé par anticipation.

3. Ces clauses, à la légalité douteuse, ont fait l’objet de plusieurs recours, malheureux, devant les tribunaux.

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