Prêts à l'habitat : prudence excessive ou risques inconsidérés ?
ANIL, Habitat Actualité, juillet 2005
(Avec le concours de l'Observatoire des Pratiques du Conseil National de l'Habitat)
Dans le rapport qu'elle vient de publier, la Commission bancaire s'alarme des risques excessifs que le fort développement des crédits à l'habitat ferait supporter aux établissements prêteurs. Cette inquiétude s'exprime au moment même où, dans d'autres instances, on s'interroge sur l'utilité des systèmes de sécurisation et on réfléchit aux moyens à mettre en œuvre pour faire en sorte qu'aient accès au crédit les catégories qui en sont encore exclues ; la sinistralité est particulièrement faible, bien inférieure à ce qui s'observe à l'étranger.
Peut-on expliquer cette apparente contradiction qui repose sur une analyse identique de l'évolution du marché immobilier ? Comment l'interpréter du point de vue qui est le nôtre, celui du risque supporté par les accédants ? En effet, tous les périls évoqués par la Commission bancaire ne sont pas en relation avec ce type de risque, même si toute déstabilisation grave du système de crédit pourrait avoir des conséquences sur les nouveaux emprunteurs : un resserrement de l'accès au crédit ou une hausse des taux trop brutale qui interviendrait en haut de cycle pénaliserait les nouveaux candidats à l'accession et pourrait même, en provoquant une baisse des prix, gêner les accédants qui souhaitent interrompre leur opération.
Laissons donc de côté le cas des investisseurs, notamment ceux encouragés par le dispositif " Robien ", ils ont toujours constitué un segment plus risqué ; une étude de l'ANIL est en cours sur ce sujet. De la même façon, une hausse des taux qui " aurait un impact sur le risque de taux global des établissements prêteurs qui devrait être anticipé dans le cadre des dispositifs de gestion actif-passif " ne mettrait en difficulté que les emprunteurs ayant souscrit des prêts à taux révisable. Or les variations des barèmes proposés aux accédants sont généralement plafonnées.
Le risque d'insolvabilité
Le risque qui nous intéresse principalement est celui qui résulte des difficultés que pourraient éprouver les accédants à faire face à leurs charges de remboursement ou à se dégager sans dommage de leur opération.
A cet égard, la Commission bancaire note que : " La baisse des marges d'intermédiation s'accompagne d'un relâchement des sécurités liées aux opérations de crédit. Il apparaît que les opérations réalisées se caractérisent, notamment dans la banque de détail, par un allongement des durées d'engagement et un relâchement des conditions d'octroi qui constituent autant d'indices de moindre rigueur dans la gestion courante. Ainsi, même si les prêts à l'habitat présentent jusqu'à maintenant, en moyenne, un faible risque de crédit, compte tenu des volumes en jeu et de la durée des engagements, toute détérioration dans la qualité de leur gestion pourrait avoir, à terme, des effets sensibles ".
La compétition et le niveau des taux
La désintermédiation avait aiguisé l'intérêt des banques universelles, mutualistes ou commerciales, pour les prêts immobiliers, jusqu'alors domaine privilégié des établissements spécialisés, l'introduction du prêt à taux zéro étant venue encore réduire la part de ces derniers.
Les prêts immobiliers sont, pour les banques universelles, un instrument de conquête ou de fidélisation de la clientèle. Cela vaut aux emprunteurs français de bénéficier des taux les plus avantageux de l'Europe.
La compétition a pris un tour déraisonnable, jusqu'à favoriser le développement du courtage, autrefois confiné en France dans les opérations marginales et dont le seul effet macroéconomique ne peut être que de peser sur les marges et à terme de renchérir les taux, en exigeant la rémunération d'un acteur supplémentaire. En effet, le courtier, comme l'apporteur d'affaires, se contente de mettre en relation l'emprunteur et le prêteur. Le coût de son intermédiation est de l'ordre de 1 %, alors qu'il n'allège pas le travail d'instruction des dossiers qui incombe au prêteur. Les clients des banques payent au travers d'autres services les charges qu'ils ont économisées comme emprunteurs. En effet, chaque titulaire de compte " consommerait " en moyenne sept services bancaires, carte de crédit, assurance, comptes divers... Pour autant, cela ne prouve pas que les prêteurs en général auraient " relâché " leur vigilance quant à la qualité des dossiers qu'ils accepteraient.
Taux d'effort initial et taux d'apport personnel
Reprenons les éléments réunis par la Commission bancaire. Elle note que " le taux d'effort financier des emprunteurs s'est accentué. En dépit de la baisse des taux d'intérêt et de l'allongement de la durée initiale des prêts, la charge de remboursement mensuelle dans les revenus des emprunteurs, déterminée lors du montage des dossiers de prêt, s'est sensiblement alourdie, passant de 27,5 % en 2000 à 29,2 % en 2004. La part des emprunteurs supportant des remboursements supérieurs à 35 % de leurs revenus est passée, dans le même temps, de 16,2 % à 20,1 % de la production annuelle des établissements. Elle tend, cependant, à se stabiliser depuis 2002-2003.
Tranches (en %) | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 |
---|---|---|---|---|---|
0 % - 20 % | 18,4 | 17,8 | 17,0 | 16,5 | 16,8 |
20 % - 30 % | 43,0 | 40,7 | 39,9 | 39,6 | 39,1 |
30 % - 35 % | 22,4 | 24,3 | 23,9 | 23,8 | 24,0 |
35 % et plus | 16,2 | 17,2 | 19,3 | 20,2 | 20,1 |
Total | 100 | 100 | 100 | 100 | 100 |
Source : Commission bancaire
Dans ce domaine, en ce qui concerne la production 2004, la tranche " 35 % et plus " peut représenter, selon les établissements, de 1 % à 46 % des crédits consentis ".
La comparaison avec la génération 80 des accédants en difficulté
Peut-on comparer ces taux d'effort avec ceux supportés par les accédants des générations qui ont connu les difficultés les plus graves, ceux dont les opérations ont été entreprises avant 1986 ?
Deux facteurs expliquent que les plus modestes n'aient pas alors réussi à faire face à leurs engagements : des mensualités progressives et une désinflation brutale qui a mis fin à la progression de leurs revenus nominaux. Ce simple rapprochement montre que le raisonnement sur les seuls taux d'effort initiaux est pauvre, car il néglige la durée de l'effort réel. Les accédants des années 80 s'endettaient sur des durées plus courtes et attendaient de l'inflation qu'elle réduise le poids réel des remboursements. On anticipait trois à cinq années difficiles, après quoi l'érosion monétaire aurait fait son oeuvre. La progressivité des échéances venait contrebalancer ce phénomène pour les plus modestes.
Aujourd'hui, la situation est différente, mais elle n'est pas nécessairement plus rassurante : les accédants les plus modestes s'endettent sur de très longues durées et avec des perspectives de très faible inflation. Parviendront-ils à supporter si longtemps le poids réel, c'est-à-dire en euros constants, de charges initiales élevées ? Il faudrait relire ce qui s'écrivait dans les années 90 sur la lassitude des accédants, qui ayant à faire face à des charges nouvelles, - grands enfants, besoin de renouvellement de l'équipement automobile ou ménager etc. -, peinaient devant des charges réelles de remboursement qu'ils ne voyaient pas diminuer.
La " negative equity "
Le même mouvement rendait difficile la sortie, et ce quelle qu'en soit la cause, (insolvabilité, mobilité géographique, divorce...), pour ceux qui ne pouvaient conduire l'opération jusqu'à son terme. La faiblesse de l'inflation fige la valeur nominale de la maison et compromet le remboursement de la dette en cas de revente. Sur les durées les plus longues pratiquées actuellement, l'amortissement est très lent. De surcroît, la Commission bancaire met également l'accent sur la faiblesse de l'apport personnel des accédants et sur la fréquence de la pratique du surfinancement : " Le taux d'apport personnel a baissé. Au fil des cinq dernières générations de prêts, le taux d'apport exigé par les banques lors de la mise en place de prêts est passé en moyenne de 26,3 % à 21,7 %. La tranche d'apports comprise entre 0 et 5 % du montant des acquisitions est passée, quant à elle, de 29,6 % à 36,3 % de la production.
Tranches (en %) | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 |
---|---|---|---|---|---|
0 % - 5 % | 29,6 | 33,5 | 33,2 | 36,3 | 36,3 |
5 % - 15 % | 14,7 | 14,8 | 14,7 | 14,3 | 14,6 |
15 % - et plus | 54,8 | 49,8 | 47,8 | 43,6 | 42,4 |
Surfinancement | 0,9 | 1,9 | 4,3 | 5,8 | 6,7 |
Total | 100 | 100 | 100 | 100 | 10 |
Source : Commission bancaire
Par ailleurs, la pratique du surfinancement (financement du montant de l'acquisition auquel s'ajoutent les frais annexes tels que les honoraires des agences et des notaires, ainsi que les droits de mutation) s'est fortement développée ".Reste qu'une autre inconnue pèse sur le rapport entre dette et valeur réelle des logements, sur la situation de " negative equity " des accédants, c'est celle qui tient à l'évolution générale des prix des logements eux-mêmes et, à cet égard, la Commission estime qu'ils " semblent avoir atteint un plafond ". La hausse des taux que semble prévoir la Commission, " les taux ont atteint un niveau historiquement bas ", aggravée par la hausse des marges, qu'elle recommande, ne peut que favoriser un retournement, au moins un coup d'arrêt à la hausse des prix.
L'efficacité de la SGFGAS en question
Face à de telles incertitudes, l'existence de la Société de gestion du fonds de garantie de l'accession sociale est de nature à rassurer un peu les prêteurs : en cas de " negative equity ", elle les indemnisera. Dans ce même cas, elle interviendra également en faveur des accédants en effaçant leurs dettes résiduelles ; elle pourra même, avant d'atteindre ces extrémités, les aider à passer une échéance difficile, mais il ne saurait être question de les rassurer puisqu'il est interdit de mentionner l'existence de cette garantie.
Paradoxalement, c'est à ce moment que l'on s'interroge sur l'efficacité du fonds au motif qu'il aurait été très peu sollicité par les établissements de crédit. Le contraire serait inquiétant et tout ce qui précède montre qu'il ne peut pas en être autrement. Rappelons que, du point de vue d'un établissement de crédit, un sinistre est indemnisable quand le produit de la vente du gage ne permet pas d'éteindre sa créance. Or, depuis la création de la SGFGAS, la hausse des prix des logements a été continue. Dans une telle conjoncture, si le fonds était intervenu de façon significative, il aurait été accusé d'encourager les prêteurs à prendre, et à faire prendre à des ménages modestes, des risques déraisonnables. Ce qui inquiète la Commission bancaire, c'est bien le risque que le fonds soit sollicité de façon massive dans les années à venir. De surcroît, c'est une préoccupation conjoncturelle qui motive la crainte qu'exprime la Commission bancaire, celle des conséquences d'un retournement brutal. Mais la commission bancaire ne traite pas de la question de l'accès au crédit des nouveaux accédants.
L'accès au crédit des nouveaux accédant
C'est précisément pour garantir l'accès au crédit des ménages modestes dans des conditions proches de celles proposées aux ménages aisés que la SGFGAS a été créée en 1993, lorsque ont été supprimés les circuits spécialisés de financement de l'accession sociale (Crédit Foncier de France et Sociétés de crédit immobilier qui distribuaient le PAP). A l'époque, on assistait, du fait des difficultés évoquées précédemment à un recul net de l'accession sociale, conséquence d'une restriction de l'offre de crédit (" crédit crunch " ou frilosité).
La plupart des pays qui ont une politique d'accession socialement ciblée ont mis en place des systèmes parapublics destinés à garantir l'accès au crédit des ménages modestes. Aux USA, c'est le " Federal Housing Association ", dont s'est inspirée la SGFGAS, au Canada, la Société canadienne d'Hypothèques et de Logement ; la Hollande a fait évoluer son propre système de garantie en s'inspirant du FGAS.
Le cas des emprunteurs atypiques
En revanche, force est de reconnaître que, même dans la phase de facilité d'accès au crédit décrite par la compagnie bancaire, la SGFGAS n'a pas été capable de peser sur la pratique des établissements de crédit pour les inciter à s'ouvrir à la demande d'une catégorie d'emprunteurs qui restent exclus du crédit - pour l'essentiel, ceux qui s'écartent du modèle majoritaire, celui du salarié en contrat à durée indéterminée. Il s'agit de personnes disposant de revenus mal stabilisés et qui se heurtent aux mêmes obstacles que les personnes non assurables, que ce soit en raison de leur âge ou de leur état de santé.
Tout donne pourtant à penser que la proportion de ceux dont les parcours professionnels présenteront ce type d'instabilité va s'accroître. Peut-on faire évoluer les façons de faire ou mettre en place de nouveaux dispositifs adaptés à ceux qui ne répondent pas aux critères habituels d'instruction des demandes de prêt ?
Il s'agit là d'une réflexion à plus long terme sur une évolution des procédures d'offre de crédit rendue nécessaire par le développement de nouveaux parcours professionnels ; elle n'est pas du même ordre que le constat conjoncturel dressé par la Commission bancaire. Il ne faudrait pas que le caractère alarmant de celui-ci conduise à différer celle-là.