Les politiques de remise sur le marché de logements vacants
ANIL, Habitat Actualité, juillet 2005
(Avec le concours de l'Observatoire des Pratiques du Conseil National de l'Habitat)
L'idée que les logements vacants constituent un gisement d'offre potentielle s'exprime couramment et donne lieu à des actions en vue de remettre sur le marché lesdits logements. L'existence de logements vacants est considérée au minimum comme une anomalie, au pire comme un scandale. Elle est rapprochée des difficultés de logement d'une partie de la population, voire du problème des sans-abri. La mise en relation entre logements vacants et sans-abri n'a pas grande signification, mais elle est largement utilisée car elle permet d'appréhender la politique du logement en terme de recherche de coupable et de fédérer les indignations contre un adversaire abstrait, le propriétaire de logements vacants. Face à ce " scandale ", les politiques sont sommés d'agir énergiquement, et notamment de réquisitionner les logements vacants pour y loger des sans-abri. Des mesures de réquisition de logements vacants ont ainsi été annoncées en 1995 et en 2001 : dans les deux cas, les objectifs étaient modestes, mais les réalisations l'ont été encore plus. Elles n'ont d'ailleurs touché que les logements appartenant à des personnes morales, banques ou compagnies d'assurance.
Sans aller aussi loin, certains voient dans les logements vacants une forme de gaspillage contre lequel il convient de lutter. Dans cette optique, la vacance n'est plus nécessairement la conséquence de l'incurie ou du cynisme des propriétaires, elle peut aussi résulter de leur négligence ou de leur indécision : il est donc logique de la taxer pour les inciter à mettre ou à remettre lesdits logements sur le marché. Une taxe annuelle sur les logements vacants a été instituée à compter du 1er janvier 1999 (loi relative à la lutte contre les exclusions : art. 51). Y sont soumis les propriétaires d'un logement vacant depuis au moins deux ans, à l'exception des bailleurs sociaux.
L'étape suivante consiste à encourager " positivement ", c'est-à-dire par des aides à la remise en état, ou en prenant en charge la gestion locative, les propriétaires de logements vacants à les mettre en location. Ces derniers sont alors décrits comme des personnes plutôt modestes, souvent âgées, découragées par la fiscalité et le comportement des locataires (*). Le plan de cohésion sociale a ainsi assigné à l'ANAH un objectif de remise sur le marché de 100 000 logements, moyennant une prime incitative. On peut penser qu'en bénéficieront surtout des logements qui, faute de travaux, étaient inhabitables. Enfin, nombreuses sont les collectivités locales qui ont mis en place des dispositifs d'incitation à la remise sur le marché de logements vacants, ou qui envisagent de le faire.
Les logements vacants ne sont pas tous disponibles
Ces raisonnements ne sont pas entièrement dénués de fondement : il existe sans aucun doute des propriétaires négligents, hésitants, effrayés pour certains par les risques locatifs ou qui répugnent à engager les travaux nécessaires à la mise en location. Il est même possible que se glissent parmi eux quelques " spéculateurs " à la recherche d'une plus-value.
Ils reposent toutefois largement sur l'idée que la majorité des logements vacants est disponible, idée qui ne correspond pas vraiment à la réalité. Il suffit pour s'en convaincre de se reporter aux travaux, nombreux, portant sur les causes de la vacance, question récurrente s'il en est. On peut notamment citer :
- l'article de François Fabre et Christian Nicol " Les logements vacants ne sont pas tous disponibles " paru en 1979 dans " Economie & statistiques " ;
- le rapport sur le fonctionnement du marché du logement et de la vacance, rédigé en 1992 par Claude Robert et Bernard Coloos ;
- l'exploitation des résultats de l'enquête Logement 2002 : " La proportion de logements vacants la plus faible depuis 30 ans " (**) ;
- diverses études locales portant sur la vacance et en analysant les causes.
Tous ces travaux vont dans le même sens : ils montrent, comme l'article de Fabre et Nicol, que d'une part tous les logements vacants ne sont pas disponibles et que d'autre part un certain volume de logements vacants est nécessaire à la fluidité du marché : c'est ce que l'on peut appeler la vacance frictionnelle, inévitable entre deux occupants successifs d'un logement. On peut même, sans provocation affirmer qu'un trop petit nombre de logements vacants est à coup sûr l'indice d'une grave pénurie. Alain Jacquot a ainsi montré qu'un faible taux de logements vacants coïncide avec des prix élevés.
Une partie d'entre eux ne sont d'ailleurs pas de vrais logements : les chambres meublées, les logements de fortune et les pièces indépendantes comme les chambres de bonnes qui, si elles sont inoccupées, sont souvent considérées comme des logements autonomes (la récente controverse portant sur la surface minimale exigée pour qu'une pièce puisse constituer un logement décent illustre bien le caractère aléatoire de la qualification de logement). Les logements inoccupés susceptibles d'être " remis sur le marché " sont largement minoritaires : il s'agit pour l'essentiel de ceux sans affectation définie et de ceux qui, offerts à la location, ne trouvent pas preneur. Dans ce dernier cas, il peut s'agir de logements mal situés ou de logements vétustes, inconfortables nécessitant pour pouvoir être loués des travaux d'amélioration.
L'INSEE estime actuellement le nombre de logements vacants à environ 1,9 millions, soit 6,2 % de l'ensemble du parc de logements qui en compte 30,8 millions. Ce pourcentage est le plus bas des vingt-cinq dernières années : il atteignait 8,4 % en 1988. Rappelons qu'au plus fort de la crise de 1954, la proportion de logements vacants était descendue au-dessous de 4 %. On peut encore remarquer que le nombre de logements vacants est le même aujourd'hui qu'en 1983, alors que le parc de logements s'est accrû de plus de 6 millions d'unités. Les logements vacants sont plutôt des appartements que des maisons, relativement anciens et répartis équitablement entre les villes et les zones rurales.
Dans ces conditions, il ne faut pas attendre de miracles des politiques de remise sur le marché des logements vacants. L'action de l'ANAH, qui attribue aux propriétaires de logements vacants remis sur le marché, dans les agglomérations concernées par la taxe d'inhabitation, une prime qui peut aller jusqu'à 3 000 € par logement et s'ajoute à la subvention habituelle des travaux d'amélioration, dont l'utilité ne peut être contestée, a certes obtenu des résultats tangibles : elle estime à 11 000 par an le nombre de " vrais " vacants ainsi traités, mais l'objectif de 100 000 logements fixé par le plan de cohésion sociale semble difficile à atteindre.
Parmi les dispositifs mis en place par des collectivités locales, deux (ceux de la ville de Paris et du département des Alpes-Maritimes) ont été présentés à un séminaire sur les logements vacants organisé à l'attention des directeurs d'ADIL. Le moins que l'on puisse dire est que les résultats sont décevants. Malgré des aides individuelles très importantes, le nombre de logements remis sur le marché est extrêmement modeste. Le coût de chaque logement remis sur le marché est, en revanche, très élevé en raison des dépenses qui doivent être engagées pour faire connaître ces dispositifs, repérer les propriétaires et monter les dossiers.
(*) Ainsi, Hervé Gaymard, ministre de l'Economie, estimait en février 2005 que "nombreux sont les propriétaires personnes physiques qui préfèrent ne pas louer leur bien, de peur d'être en butte à un "mauvais payeur" (Le Monde du 21 février 2005").
(**) Insee Première n° 881, 2003