Aller au contenu

Prêteurs sociaux et "prédateurs"

Anil, Habitat Actualité, juin 2001
(Avec le concours de l'Observatoire des Pratiques du Conseil National de l'Habitat)


Faut-il limiter l'accès au crédit pour éviter le surendettement et jusqu'où peut-on aller sans pénaliser les ménages modestes qui souhaitent accéder à la propriété ? A la fin des années 80, l'ampleur des sinistres liés à l'accession s'était traduite par ce l'on avait qualifié de frilosité des prêteurs. Depuis le milieu des années 90, les conditions de l'offre se sont progressivement assouplies et la vigueur de la concurrence a poussé les établissements de crédit à une attitude de plus en plus ouverte, sans que cela s'accompagne d'une nouvelle croissance du surendettement. Celui-ci est l'objet d'une attention permanente, les commissions instituées par la loi Neiertz fournissent des statistiques régulières sur le nombre de dossiers qui leur sont soumis, mais elles sont assez pauvres en données concernant l'accession ; elles permettent seulement de dénombrer les ménages ayant un crédit au logement parmi ceux dont les cas sont traités. Cependant, du point de vue des établissements prêteurs, l'impression prévaut que le niveau de sinistralité en crédit hypothécaire est faible au regard de ce que l'on observe à l'étranger et notamment dans les pays anglo-saxons.

Le fait est qu'il n'existe pas en France une industrie financière du crédit à risque en matière hypothécaire, à l'image de ce que sont les " subprime lenders " aux Etats-Unis, prêteurs aux-quels le service financier du Trésor à Washington vient de consacrer une note très intéressante.

Les crédits dits " subprime " sont proposés aux emprunteurs présentant un profil de risque plus élevé que les emprunteurs " traditionnels ", que cela résulte de leur solvabilité présumée ou de défaillances passées. Le taux de ces crédits peut se situer entre 1/2 et 4 points au-dessus du taux des prêts normaux. Le " California Reinvestment Committee " a même relevé des différences plus importantes : le meilleur taux d'intérêt pour un prêt hypothécaire en 2000 était de 8.375 %, alors que les " subprimes " pouvaient aller jusqu'à 18 %.

Il s'agit d'un secteur qui s'est développé rapidement depuis 1990. Les analyses du " Federal Reserve Board " indiquent que l'octroi de crédits hypothécaires aux tranches les moins aisées de la population s'est accru de 75 % entre 1993 et 1998, cependant qu'il progressait de 52 % auprès des segments les plus favorisés. Les emprunteurs disposant de faibles revenus étaient bénéficiaires de 41% des crédits de refinancement " subprime " tandis qu'ils ne représentaient que 20 % des crédits de refinancement au taux des crédits rachetés par les agences de titrisation. L'expansion des crédits " subprime " est essentiellement provenue des plus démunis et des minorités. Les organismes qui distribuent des crédits " subprime " se sont diversifiés, banques commerciales et banques hypothécaires spécialisées ; ces crédits sont le plus souvent vendus par l'intermédiaire d'un courtier. Récemment, " FannieMae " et " FreddieMac ", les deux agences de titrisation qui agissent pour le compte du gouvernement fédéral, ont été critiquées pour avoir étendu leurs interventions à la titrisation de ces crédits, très rémunérateurs. Le marché secondaire pour les crédits " subprime " a, en effet, connu un essor important au cours des dernières années.

Les critiques ont été justifiées par le fait que, si l'octroi de ce type de crédits peut rendre service à des ménages défavorisés, il semble aussi qu'il contribue à fragiliser leur situation financière. De surcroît, le développement de ce segment de marché attire des organismes de crédit, qualifiés de " prédateurs ", dont les pratiques vis-à-vis d'individus se situant en marge du profil du bénéficiaire de crédit classique apparaissent comme nettement abusives.

Leur principale caractéristique est d'accorder des prêts à taux élevé, sans considération des possibilités de remboursement de l'emprunteur, au vu de la seule valeur du gage. Le montant du crédit est fonction de la valeur qui sera récupérée en cas de saisie. L'emprunteur perd alors ce qu'il pouvait avoir d'apport personnel. Ces " prédateurs " se voient également reprocher la facturation de frais excessifs, de pénalités disproportionnées, des profils de remboursement dangereux, comme l'amortissement négatif, enfin des procédés purement frauduleux.

La réaction est venue du secteur associatif et des agences fédérales de titrisation elles-mêmes, mais cette question constitue aujourd'hui un enjeu politique : plusieurs membres du Congrès ont déposé des propositions de loi dont l'objet est de lutter contre les prêteurs " prédateurs ", en encadrant plus strictement les conditions d'octroi des crédits et plusieurs Etats ont déjà adopté des textes allant dans ce sens. Il s'agit de contraindre les établissements à prendre en compte la capacité de remboursement de l'emprunteur pour accorder un prêt, de proscrire les amortissements négatifs, les profils de remboursements prévoyant une échéance finale trop importante (prêts dits " balloon "), d'interdire les indemnités de remboursement anticipé, de réglementer les frais et les pénalités, d'améliorer l'information de l'emprunteur, de plafonner le taux d'intérêt, voire dans certains cas d'exiger le recours à un conseiller indépendant agréé par le ministère du logement. Toute la difficulté est de faire la distinction entre " predatory lenders " et " subprime lenders " ; il s'agit en effet d'éliminer les " prédateurs ", sans pour autant assécher les sources de financement ouvertes à certains segments de la population qui sont considérés comme à risque.

Cette question fait aujourd'hui l'objet d'un débat national, de nature économique et morale, sur la conciliation entre objectifs publics et intérêts privés.

Si ce marché est rentable, peut-on exclure qu'en France certains établissements soient tentés de s'y intéresser et que de telles pratiques se développent ? On se souvient du scandale qu'avait provoqué, en 1996, dans le domaine de la distribution, l'ouverture par une chaîne britannique, des magasins " Crazy George's ", dont la caractéristique était de vendre très cher, uniquement à crédit, à une clientèle particulièrement peu fortunée. Les pouvoirs publics s'étaient trouvés, dans un premier temps, désarmés devant une approche commerciale, atypique pour la culture française, mais apparemment légale.

Cependant, s'agissant du crédit, et plus particulièrement du crédit hypothécaire, on peut penser que le cadre réglementaire, notamment celui dressé par la loi Scrivener, nous place à l'abri de telles dérives. Les établissements de crédit à la consommation prennent plus de risque, mais là aussi la loi Neiertz introduit des garde-fous qui semblent efficaces et qui viennent renforcer une attitude de la société française traditionnellement réservée à l'égard du crédit. De surcroît, en France, les prêts hypothécaires financent pour l'essentiel le logement, la pratique n'est pas de garantir par une hypothèque un prêt personnel ou un prêt à la consommation non lié. Cependant, rien ne l'interdit ; si l'acte de prêt était passé devant notaire, le prêt échapperait aux obligations des textes régissant le crédit au particulier.

Le débat qui se déroule actuellement aux Etats-Unis est proche de celui que mènent, en Europe, les pays qui s'efforcent de donner un ciblage plus social à leur politique d'aide à l'accession. En France, il s'apparente à celui qui a été conduit lors de la création de la SGFGAS : le FGAS a pour objet de garantir l'accès au crédit des ménages modestes, mais doit aussi éviter d'encourager des opérations périlleuses qui placeraient en difficulté ceux qui les entreprennent. La formule adoptée suppose la fixation d'un taux de sinistralité de référence pour les prêts d'accession sociale. Cette norme partiellement fondée sur l'expérience des années antérieures, notamment en PAP et en prêt complémentaire au PAP, peut également être considérée comme définissant le niveau maximal de sinistralité socialement acceptable ; ceci revient à déterminer la frange des ménages qui devraient pouvoir entreprendre un projet d'accession. Il reste que ces règles ne concernent que les PAS et que les établissements qui souhaiteraient s'en affranchir pour offrir, sans garantie, des prêts beaucoup plus risqués, pourraient le faire en prêts libres.

Retour en haut de page