L'Euro et les canaux de distribution du crédit au logement
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ANIL, Habitat actualité, février 1999
La relation entre l'emprunteur et le prêteur est en France, le plus souvent, directe. Cela s'explique, à la fois par l'organisation du marché du crédit et par l'existence d'une réglementation très rigoureuse en matière de protection du consommateur :
- une part très importante de la production est le fait des banques universelles, collectrices d'épargne, qui prêtent à leurs clients ou à ceux qui le deviendront ;
- les commissions perçues par les courtiers doivent être intégrées au calcul du TAEG, ce qui rend le coût de leur intervention parfaitement visible. Tel n'est cependant pas le cas dans tous les pays européens et, pour ne prendre qu'un exemple, la moitié des crédits hypothécaires en Grande-Bretagne est vendue par l'intermédiaire d'un courtier. Les intermédiaires de crédit occupent également une place importante en Irlande, aux Pays-Bas, en Allemagne et en Belgique. Il convient d'établir une distinction entre les différents acteurs qui interviennent, en France, dans la mise en place d'un crédit immobilier :
L'établissement de crédit peut faire une offre directe à l'emprunteur :
S'il s'agit d'une banque universelle, collectrice d'épargne, elle répond à la demande d'un emprunteur qui est déjà son client ou qui le deviendra à cette occasion, le cas échéant après avoir fait le tour des offres de la place. A cet égard, il faut noter que la pratique de mise en concurrence des prêteurs s'est considérablement développée depuis trois ou quatre ans. La plupart des emprunteurs consultent plusieurs établissements, pour finir assez souvent, surtout pour les plus aisés d'entre eux, dans la banque dont ils sont déjà clients, celle-ci ayant aligné sa proposition sur l'offre la plus attractive de la concurrence.Le lien entre l'établissement spécialisé et son client potentiel sera le plus souvent noué par le truchement d'un apporteur d'affaire. L'attitude de plus en plus consumériste des emprunteurs se traduit, pour ces établissements, par une augmentation sensible du nombre d'offres émises par rapport aux offres acceptées
Le mandataire, parfois appelé agent représente de façon permanente certains établissements spécialisés : Il est intermédiaire en opérations de banque. Il est mandaté par l'établissement de crédit et rémunéré par lui, pour animer des apporteurs d'affaires. Il monte le dossier, mais celui-ci est en général étudié par l'établissement, qui est seul habilité à délivrer une offre. L'agent a d'autres activités que la représentation de la banque et, de ce fait, un agent est moins coûteux pour un prêteur qu'une agence. Son intervention n'accroît donc pas le coût de commercialisation du crédit
Le prescripteur ou apporteur d'affaires : il s'agit souvent d'un professionnel du logement, constructeur, promoteur, agent immobilier, lotisseur, notaire. Il permet à son client de financer son achat ou sa construction, en même temps qu'il oriente un client vers une banque ou vers un établissement spécialisé. Il peut faire bénéficier ses clients de conditions avantageuses ou voir les dossiers qu'il apporte étudiés avec une diligence particulière, ce qui favorisera son activité. Il peut même arriver que les promoteurs bonifient, à leur frais, les crédits proposés par leurs partenaires : il s'agit d'une technique commerciale qui permet de baisser, d'une façon qui ne fait pas apparaître les difficultés de la commercialisation, le prix d'un logement. La démarche commerciale gagne peut-être en efficacité, mais c'est au prix d'une moindre transparence du prix des logements et des taux .
Les données de la sinistralité ont montré ce qu'une trop grande influence des prescripteurs avait de pervers : si l'analyse du risque pratiquée par le prêteur restait fondée sur l'étude de chaque dossier, la négociation entre banquiers et constructeurs se faisait " par paquets " : les bons dossiers faisaient passer les mauvais. La prescription a perdu du terrain depuis la fin des années 80. En outre, son rôle dans le montage du crédit s'est restreint à la simple orientation des clients. La pratique semble avoir disparu, qui consistait pour certains prêteurs, dans des conditions précisément définies, à déléguer un véritable pouvoir d'instruction à certains professionnels
Les mutuelles doivent également être mentionnées parmi les partenaires de la distribution du crédit dans la mesure où certaines d'entre elles passent des accords avec des établissements de crédit. Elles interviennent alors comme caution, ce qui les incite à une analyse très rigoureuse du risque ; elles obtiennent en contrepartie des conditions de crédit attrayantes pour leurs sociétaires
Les collecteurs de 1 %, les CIL, ont aussi développé des services d'aide aux salariés, qui jouent un rôle d'intermédiation entre le particulier et les établissements de crédit et qui, du point de vue juridique, participent du courtage
Le courtier est normalement mandaté par l'emprunteur, et rémunéré par lui, pour trouver un crédit. Il peut faire appel à l'ensemble des prêteurs du marché. Il doit également être intermédiaire en opérations de banque. Il peut, cependant, établir une relation d'affaire formalisée avec certains prêteurs. Sa commission de courtage doit être intégrée dans le calcul du TAEG. Le courtage renchérit le coût du crédit, même si du fait de la puissance de négociation de certains opérateurs, une partie de la charge peut être imputée sur la marge de l'établissement prêteur. Il peut arriver, sur certains créneaux particuliers, que les courtiers puissent faire bénéficier leurs clients d'opportunités conjoncturelles intéressantes : ainsi, une agence qui n'aura pas atteint les objectifs de production qu'elle s'était fixés, sera tentée de rattraper son retard en proposant des conditions très attractives. Le courtage a toujours occupé en France une place assez marginale. Il était jusqu'alors pour l'essentiel, confiné à quelques organismes à la réputation contrastée, souvent accusés de faire passer des dossiers " limites ", rejetés par les circuits traditionnels et de précipiter des décisions qui auraient gagné à être mûries.
Si l'activité du courtier, intermédiaire en opération de banque, est réglementée et prévue par la loi, il semble qu'elle soit pratiquée en s'exonérant fréquemment des dispositions légales, notamment de la loi Scrivener. Ainsi il n'est pas rare que les frais au courtage soient oubliés lors du calcul du TAEG. De la même façon la désignation du prêteur représenté est souvent absente de leurs barèmes. Le dérapage se produit parfois vers les activités de gestion rémunérée de dettes qui, elles, sont illégales. La seule consultation des publicités dans les journaux gratuits illustre la fréquence des infractions : les prêteurs ne sont jamais mentionnés contrairement à l'obligation légale.
Les couches les plus vulnérables de la population sont les victimes désignées et singulièrement les petits commerçants ou artisans qui consolidant leurs dettes en un emprunt unique mettent leur situation personnelle à la merci d'un revers de leur situation professionnelle.
Paradoxalement, la vigueur de la concurrence donne une nouvelle importance au courtage et la baisse des taux lui offre l'opportunité d'approcher de nouveaux clients :
- Les opportunités de renégociation qui résultent de la baisse des taux n'ont été saisies que par les emprunteurs avisés : les courtiers, en s'appuyant parfois sur les permanences organisées par des comités d'entreprise, se tournent vers les emprunteurs " dormants " pour leur offrir des crédits substitutifs qu'ils placeront auprès des prêteurs avec lesquels ils sont en contact. Du point de vue de l'emprunteur qui, de son propre chef, n'avait fait aucune tentative pour réduire ses charges de remboursement, le courtier apporte là, de façon tout à fait conjoncturelle, un service utile, qui peut même se parer d'une coloration sociale.
- Les instances centrales des établissements de crédit sont majoritairement hostiles au fait de recourir aux services des courtiers dans leur lutte pour les parts de marché, mais le refus des sièges nationaux est de peu de poids face à la guerre des guichets : les dossiers apportés par les courtiers correspondent à autant de clients qui n'iront pas vers l'agence du réseau concurrent.
L'introduction de l'Euro, en faisant disparaître le risque de change, favorisera très probablement l'intervention des courtiers pour relayer les offres d'établissements d'autres pays de l'Union européenne ; cela s'était déjà fait par le passé, mais d'une façon qui est souvent apparue comme défavorable aux emprunteurs. La tentation naturelle des prêteurs étrangers sera de s'exonérer des règles du droit français en matière de protection du consommateur. Ils seront d'autant plus incités à le faire qu'une contestation existe au niveau européen sur le droit applicable aux prestations transfrontalières ; la thèse française, qui veut que les institutions financières aient à se plier aux règles - si elles sont plus strictes - du pays d'accueil, est très isolée. Que se passera-t-il si des courtiers proposent des prêts auxquels on dénie la possibilité d'être remboursés par anticipation ou dont le taux est calculé selon une méthode flatteuse par rapport aux normes françaises ?
De la même façon, l'exemple des Etats-Unis donne à penser que le courtage va très certainement se développer sur Internet ; c'est peut-être une opportunité prometteuse, mais il faut s'efforcer de prévoir les difficultés d'adaptation d'une réglementation qui n'a manifestement pas été conçue pour les transactions électroniques. Conséquence de la guerre des guichets autour de la renégociation, apparition de la vente de crédit par Internet et développement des prestations transfrontalières, tout milite en faveur d'un rappel strict des règles des jeux du courtage, dans une optique de protection du consommateur.
Dans un marché aussi transparent et concurrentiel que celui du crédit à l'habitat, de surcroît encadré par une réglementation très protectrice, les courtiers n'ont de place qu'aux marges ; ils versent facilement dans des pratiques discutables.
L'examen de la situation qui prévaut dans les autres pays membres de l'Union européenne montre que c'est en France que la protection de l'emprunteur est la mieux assurée, sans que cela nuise pour autant à la vigueur de la concurrence. Les projets portés par les organisations représentatives des consommateurs auprès de la commission européenne ne consistent souvent qu'à étendre la législation française ; c'est notamment le cas pour tout ce qui concerne les modalités de l'offre de crédit.
Dès lors, on voit mal quel bénéfice les particuliers, à tout le moins les accédants des catégories modestes et moyennes, pourraient tirer d'un développement de leur intervention. L'intérêt des accédants est de prendre le temps d'étudier leur projet, si possible avec un conseiller objectif ; celui des prêteurs n'est sûrement pas de voir les dossiers qui leur sont soumis préparés par un professionnel qui en masquera les faiblesses. Il serait regrettable que pour des enjeux de très court terme, ou par imprévoyance, la France encourage le développement de filières de commercialisation du crédit, qui en augmenteraient le coût et nuiraient à la sécurité des opérations, à tout le moins pour les accédants modestes.