L'épargne préalable et la sécurité des projets d'accession
ANIL / Habitat Actualité, septembre 1999
Etude réalisée avec le concours de l'Observatoire des Pratiques du Conseil National de l'Habitat
L’accession à la propriété est-elle toujours synonyme d’effort financier accru ? En d’autres termes, le prix à payer pour réaliser un projet d’accession est-il obligatoirement, pour les ménages à revenu moyen ou modeste qui constituent la grande majorité des consultants des ADIL, une réduction temporaire du revenu résiduel ?
Pour tenter d’apporter à cette question des éléments de réponse, dix-sept ADIL ont accepté de réaliser, auprès des ménages venant les consulter pour un projet d’accession à la propriété, une enquête permettant de compléter les informations nécessaires aux simulations financières par les éléments suivants concernant leur situation à la date de la consultation, c’est-à-dire avant la mise en œuvre éventuelle de leur projet : montant et durée résiduelle des crédits en cours (notamment crédits à la consommation), autres dépenses obligatoires et régulières (pensions alimentaires), montant de la dépense de logement et, le cas échéant, de l’aide personnelle perçue, montant mensuel approximatif de l’épargne. L’objectif était d’apprécier si, et dans quelle mesure, il était possible d’établir une relation entre la dépense de logement actuelle et le niveau de la dépense de remboursement envisagée en cas de réalisation du projet d’accession.
550 ménages candidats à l’accession ont ainsi été interrogés au cours des mois de juin et de juillet 1999.
L’accession à la propriété n’implique pas toujours un accroissement de l’effort financier.
La comparaison de la seule dépense mensuelle de logement actuelle à la dépense de remboursement envisagée montre une très grande dispersion, difficile à interpréter.
On a donc préféré s’intéresser à l’effort global du ménage, défini comme la somme de sa dépense de logement et de son épargne courante. C’est bien, en effet, en comparant cette quantité au montant des remboursements envisagés que l’on pourra mesurer l’évolution de l’effort financier du ménage en cas de réalisation du projet. On remarquera que cette façon de procéder équivaut à évaluer le revenu résiduel du ménage (ou " reste à vivre ") avant et après la réalisation éventuelle du projet.
En procédant de la sorte, on obtient en outre une indication du risque attaché au projet, complémentaire de l’observation, classique, du taux d’effort : à taux d’effort égal, le projet sera d’autant plus risqué qu’il impliquera une plus forte baisse du revenu résiduel. A contrario, un taux d’effort élevé n’est pas forcément synonyme de danger, s’il n’induit pas une baisse du revenu résiduel.
Le rapprochement de l’effort global avant l’accession et du montant des remboursements envisagé permet de mettre en évidence des situations très contrastées.
Evolution de l’effort global en cas de réalisation du projet
Diminution de plus de 25 % | 18,4% |
---|---|
Diminution de 10 à 25 % | 13,8% |
Equivalent (de –10 % à +10 %) | 24,4% |
Augmentation de 10 % à 25 % | 12,9% |
Augmentation de 25 % à 50 % | 12,1% |
Augmentation de plus de 50 % | 18,4% |
Ensemble | 100,0% |
Les chiffres de ce tableau, comme d’ailleurs tous ceux présentés ici, sont calculés en dépense nette, c’est-à-dire après déduction de l’aide personnelle éventuellement perçue. Les calculs en dépense brute (aide non déduite) aboutissent à des résultats analogues.
Comme le montre le tableau ci-dessus, plus de la moitié des ménages (56 %) devraient pouvoir réaliser leur projet sans que cela entraîne des modifications majeures dans leur budget, puisqu’ils n’auront pas à accroître de façon sensible leur effort global. Une bonne partie d’entre eux (32 % de l’ensemble) conserveront même une capacité d’épargne qui constituera une marge de sécurité.
A l’opposé du spectre, un peu plus de 30 % des candidats devront accepter une augmentation de plus d’un quart de leur effort global s’ils décident de passer à l’acte.
Il est frappant de constater que cette classification ne recoupe absolument pas la ventilation des projets selon le taux d’effort en cas d’accession (rapport de la mensualité de remboursement nette de l’aide au revenu).
taux d'effort | Evolution de l'effort global | |||||
---|---|---|---|---|---|---|
accession | Baisse supérieur à 10% | Equivalent (de –10 % à + 10%) | Augmentation de 10 à 50 % | Augmentation supérieure à 50% | Ensemble | |
< 25 % | % des ménages interrogés | 14,0% | 5,9% | 6,6% | 7,0% | 33,5% |
Durée prêt principal | 171 mois | 189 mois | 194 mois | 185 mois | 182 mois | |
Apport personnel / revenu | 17 mois | 12 mois | 7 mois | 6 mois | 12 mois | |
Montant du projet | 560 000 F | 570 000 F | 551 000F | 508 000F | 549 000 F | |
Revenu brut | 13 000 F | 15 000 F | 15 000 F | 13 000 F | 14 000 F | |
Epargne mensuelle | 1645 F | 484 F | 561 F | 247 F | 935 F | |
25 - 30% | % des ménages interrogés | 9,2% | 9,2% | 7,7% | 6,4% | 32,5% |
Durée prêt principal | 167 mois | 184 mois | 195 mois | 189 mois | 183 mois | |
Apport personnel / revenu | 16 mois | 12 mois | 10 mois | 8 mois | 12 mois | |
Montant du projet | 655 000 F | 689 000 F | 627 000 F | 629 000F | 653 000 F | |
Revenu brut | 12 000 F | 14 000 F | 13 000 F | 14 000 F | 13 000 F | |
Epargne mensuelle | 2228 F | 1428 F | 751 F | 543 F | 1318 F | |
>= 30% | % des ménages interrogés | 7,9% | 7,9% | 8,6% | 9,6% | 34,0% |
Durée prêt principal | 194 mois | 194 mois | 195 mois | 189 mois | 193 mois | |
Apport personnel / revenu | 15 mois | 13 mois | 14 mois | 12 mois | 13 mois | |
Montant du projet | 690 000 F | 630 000 F | 632 000 F | 693 000 F | 662 000 F | |
Revenu brut | 12 000 F | 11 000 F | 13 000 F | 13 000 F | 12 000 F | |
Epargne mensuelle | 2531 F | 949 F | 700 F | 380 F | 1094 F | |
Ensemble | % des ménages interrogés | 31,1% | 23,0% | 23,0% | 23,0% | 100,0% |
Durée prêt principal | 176 mois | 189 mois | 195 mois | 188 mois | 186 mois | |
Apport personnel / revenu | 16 mois | 12 mois | 11 mois | 9 mois | 12 mois | |
Montant du projet | 621 000 F | 638 000 F | 607 000 F | 619 000 F | 621 000 F | |
Revenu brut | 13 000 F | 13 000 F | 13 000 F | 13 000 F | 13 000 F | |
Epargne mensuelle | 243 000 F | 1021 F | 677 F | 385 F | 1113 F |
On observe en revanche une corrélation très forte entre l’évolution de l’effort global d’une part, le montant de l’épargne mensuelle et l’importance de l’apport personnel d’autre part : les ménages qui verront leur effort global baisser sont ceux qui épargnent le plus (plus de 2 000 francs par mois en moyenne), ceux aussi dont l’apport personnel, rapporté à leur revenu, est le plus élevé (16 mois de revenu). Remarquons cependant que l’apport personnel ne varie pas dans les mêmes proportions que le flux d’épargne : même les ménages qui épargnent peu disposent en moyenne d’un apport personnel non négligeable. Cela n’est guère surprenant, dans la mesure où l’aide familiale joue, on le sait, un rôle important dans la constitution de l’apport personnel.
Les groupes ainsi définis ne se distinguent guère par leurs autres caractéristiques, qu’il s’agisse du revenu, de l’âge ou de la composition des ménages.
Des degrés divers dans la maturation du projet.
Il semble donc bien que l’analyse selon l’évolution de l’effort global traduise avant tout des approches différentes du projet d’accession. A cet égard, deux groupes de ménages s’opposent de façon très nette :
D’une part, les ménages qui ont préparé de longue date leur projet par un effort soutenu d’épargne préalable. Ils disposent d’un apport personnel conséquent et pourront réaliser leur projet sans mettre en péril leur équilibre financier. Ceux d’entre eux qui auront à supporter des remboursements élevés ont déjà fait la preuve de leur capacité à y faire face.
Ces ménages restent prudents dans la définition de leur projet : le fait de disposer d’un apport élevé ne les conduit pas pour autant à envisager des opérations d’un coût plus important que la moyenne, ni à limiter a priori la durée de remboursement de leurs emprunts.
A l’opposé, ceux qui envisagent d’accéder à la propriété malgré une capacité d’épargne apparemment faible et d’un apport personnel modeste, voire parfois insignifiant. Le passage à l’acte se traduira nécessairement pour eux par un accroissement brutal de leur effort global, donc par une rigueur plus grande dans la gestion de leur budget. Cet effort devrait logiquement être tempéré par un allongement de la durée de la période de remboursement : force est cependant de constater que ce n’est guère le cas, la durée moyenne des emprunts n’étant pas considérablement supérieure à celle du groupe précédent.
Bien évidemment, la description des comportements ne peut se résumer à une opposition entre ces deux groupes extrêmes, bien qu’ils représentent à eux deux 54 % des ménages interrogés ; une part non négligeable des candidats à l’accession se situe dans une position intermédiaire : moins prudents que les ménages du premier groupe, ils ont néanmoins préparé leur projet et devraient, pour une bonne part d’entre eux, être en mesure de le réaliser.
Des projets à déconseiller.
Le croisement entre le taux d’effort en cas d’accession et l’évolution de l’effort global fait apparaître un groupe de ménages dont le projet apparaît particulièrement risqué : ce sont ceux qui cumulent un taux d’effort élevé (supérieur à 30 %) et une forte augmentation (plus de 50 %) de l’effort global. 18% des consultants sont dans ce cas. Il s’agit en règle générale de ménages peu avertis des réalités du marché de l’accession et dont la visite à l’ADIL constitue la première démarche dans la définition d’un projet. Le rôle de l’ADIL est dans ce cas de conseiller aux consultants de revoir le projet à la baisse ou d’en différer la réalisation, voire de l’abandonner purement et simplement.