Application du dispositif de prévention des expulsions : bilan à partir des observations des ADIL
ANIL, Habitat actualité, septembre 1999
Etude réalisée avec le concours de l'Observatoire des Pratiques du Conseil National de l'Habitat
Quelques mois après l'entrée en vigueur de la loi contre les exclusions, il s'agissait de vérifier le bien fondé des craintes émises, dès son entrée en vigueur, de voir certaines pratiques se développer pour faire échec aux nouveaux délais institués.Trois questions ont donc été posées aux ADIL à l'initiative de l'ADIL de la Dordogne qui avait elle-même repéré certains dysfonctionnements dans son département :
- Constatez-vous que certains bailleurs, afin d'éviter la mise en jeu de la clause résolutoire, assignent directement le locataire sur la base de l'article 1184 du Code civil ? (ils adressent une sommation payer au lieu d'un commandement de payer et évitent ainsi tous les délais) ?
- Constatez-vous que les bailleurs adressent des commandements de payer pour non-paiement de la prime d'assurance " risques locatifs ", ce qui leur permet d'obtenir la résiliation du bail automatiquement au terme d'un délai d'un mois si le locataire n'a pas justifié la souscription de son assurance ?
- Avez-vous connaissance de difficultés concernant l'enquête sociale ? Les juges refusent-ils de tenir compte de l'enquête sociale prévue par la circulaire du 9 février 1999, en s'appuyant sur l'article 7 du nouveau Code de procédure civile qui dispose que " le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat ". (L'enquête sociale n'est pas portée à la connaissance des parties, elle a un caractère confidentiel et les services sociaux ne souhaitent pas la voir communiquée dans le cadre d'une procédure contradictoire).
De ce questionnaire qui a été soumis aux ADIL à la mi-avril et auquel vingt départements ont répondu, il ressort que :
Dans la majorité des départements qui ont répondu, les assignations basées sur l'article 1184 du Code civil semblent être utilisées de façon marginale pour contourner la clause résolutoire.
Elles se pratiquent lorsque la location ne relève pas de la loi du 6 juillet 1989 (location meublée, verbale), mais sans qu'un accroissement notable ait été constaté depuis l'entrée en vigueur de la loi contre les exclusions.
Quelques ADIL indiquent toutefois que les magistrats leur ont signalé le développement du recours à l'article 1184 du Code civil (Hauts-de-Seine, Puy-de-Dôme).
Si les magistrats acceptent fréquemment le recours à l'article 1184 du Code civil et valident le congé, on peut se demander si cela ne risque pas d'entraîner un développement du recours à l'article 1184, sachant que pour le moment il est surtout lié à l'intervention de professionnels dans la procédure (avocat, huissier), les particuliers l'ignorant.
Il suffirait qu'un intervenant, ayant un volant d'activité important, ait systématiquement recours à cette pratique pour que les assignations selon l'article 1184 se multiplient dans un département : c'est le risque avec la pratique d'un huissier que signale l'ADIL dans les Pyrénées-Atlantiques. L'ADIL du Rhône note qu'un bailleur social a recours à l'article 1184 dans des cas extrêmes ne souffrant aucune contestation (mauvaise foi du locataire).
A noter : interrogée sur certaines pratiques, la Chancellerie indique :
" La délivrance simultanée du commandement de payer et de l'assignation n'est pas formellement interdite, cependant elle est contraire à l'esprit de la loi et le bailleur s'expose à des déconvenues dans l'hypothèse où l'assignation s'avérerait inutile en raison du paiement des causes du commandement dans les deux mois suivant sa délivrance. Il aurait en ce cas à conserver à sa charge les frais de l'assignation ; il pourrait même être condamné à réparer le préjudice causé au locataire du fait du tracas généré par cette saisine de la juridiction qui, précipitée, pourrait être considérée comme fautive, d'autant plus que l'assignation, désormais communiquée au préfet, déclenche des investigations administratives.
L'assignation en vue du prononcé de la résolution du bail plutôt qu'en constat de la résolution est possible. En effet, lorsqu'un contrat comporte une clause de résolution de plein droit, le créancier garde la possibilité d'agir en justice pour voir prononcer la résolution. Le bailleur a donc le choix entre une demande tendant au constat de la résolution du bail, sur le fondement de l'article 24 de la loi de 1989, et une demande tendant au prononcé de la résolution sur le fondement de l'article 1184 du Code civil ; s'il choisit la seconde voie ce n'est pas sans inconvénient et risques pour le bailleur :
- action au fond et non en référé -incidence sur les délais d'obtention de la décision (3,9 contre 1,6 mois en moyenne) ;
- risque de rejet de la demande si le juge estime que l'inexécution n'est pas suffisamment grave - ex : un impayé de loyers de deux mois, dans certaines circonstances …;
- risque de rejet fondé sur la fraude à la loi, la demande en prononcé de la résolution visant à éluder les règles procédurales de la demande en constat de la résolution ;
- mesure d'instruction ordonnée par le juge pour connaître la situation du locataire (notamment auprès du préfet) et renvoi à une audience ultérieure ;
- en cas de demande de délais de paiement formulée par le locataire,
- et même, hors la présence du locataire, afin de lui accorder éventuellement des délais pour quitter les lieux, ces délais pouvant toujours être accordés d'office ;
- de plus, le juge garde la possibilité de transmettre sa décision ordonnant l'expulsion au préfet.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le juge ne manque pas de moyens pour contrecarrer, le cas échéant, une pratique qui lui paraîtrait abusive".
Le commandement de payer pour non-souscription de l'assurance locative.
La pratique du commandement de payer pour non-paiement de la prime d'assurance existe, mais de façon marginale, dans la plupart des départements ayant répondu à l'enquête. Trois ADIL toutefois signalent cette procédure comme relativement fréquente (l'Ain, le Finistère, le Rhône).
Les difficultés concernant la transmission de l'enquête sociale.
Dix ADIL (Ain, Doubs, Bas-Rhin, Rhône, Meurthe-et-Moselle, Valenciennes, Finistère, Val-de-Marne, Haute-Savoie, Yonne), n'ont pas connaissance de difficultés particulières concernant la position des magistrats sur les pièces transmises avant l'audience par la préfecture.
Dans six départements en revanche (Aube, Corrèze, Dordogne, Drôme, Puy-de-Dôme et Hauts-de-Seine), les ADIL ont relevé des difficultés :
Trois arguments sont invoqués :
- les services sociaux ne souhaitent pas que l'enquête sociale soit produite comme pièce contradictoire. Ils avancent des raisons déontologiques (renseignements confidentiels) et des raisons pratiques (délais trop courts et absence de moyens matériels) ;
- la prise en compte des documents transmis par la préfecture est très liée actuellement à la position du magistrat. Certains juges refusent de prendre en compte les pièces si celles-ci ne sont pas versées au débat.
Selon la Chancellerie, " ces objections, sous réserve bien sûr de l'appréciation des tribunaux, ne paraissent pas déterminantes, car en raison tant de l'objet et du fondement de la demande qu'en raison du pouvoir donné au juge d'accorder d'office des délais, on peut considérer que la situation de défaillance pécuniaire du locataire se trouve dans le débat. Le juge peut dès lors prendre l'initiative d'une mesure d'instruction pour rechercher et accueillir des informations provenant d'un tiers à l'instance sur l'aptitude du locataire à acquitter son loyer et à se maintenir dans les locaux. Il lui appartient ensuite de mettre en œuvre le principe, essentiel, du contradictoire en soumettant le document à la discussion des parties. Le juge reste évidemment totalement libre d'accorder ou refuser des délais, le document administratif ne lui donnant que des éléments d'information".
- Les juges qui tiennent compte des éléments transmis par la préfecture souhaitent la mise en place d'une enquête sous forme de fiche rapide d'information. Le circuit prévu par les textes (organisme social Þ unité territoriale Þ assistante sociale Þ convention locataire Þ retour information Þ transmission au juge) est lourd et long. Même s'ils veulent en tenir compte, les magistrats ne reçoivent pas les enquêtes à temps, à moins de repousser l'affaire.
Il faut noter que la réticence des services sociaux et des magistrats à utiliser l'enquête sociale -chacun avec leurs raisons propres- peut être levée ou atténuée lorsque ces questions sont mises à plat dans le cadre de la préparation de la charte de prévention des expulsions, et que des solutions sont trouvées.
Par exemple, la mise au point d'une fiche de renseignements simplifiée à l'instar de ce qui est prévu dans la Drôme, la Haute-Savoie et la Dordogne, notamment.