De l'impayé de loyer à l'expulsion
ANIL, Habitat actualité, janvier 1998
Le paiement du loyer par le locataire est la contrepartie de la mise à disposition complète du logement par le propriétaire ; en conséquence, le défaut du paiement du loyer justifie la restitution du logement.
La mise en oeuvre de ce schéma juridique simple et conforme aux règles du droit civil se heurte à la gravité de ses conséquences sociales et des troubles à l'ordre public qu'elle est susceptible d'entraîner. Le principe n'est pas remis en cause et la résiliation du bail reste la sanction du non-paiement du loyer, mais de nombreuses dispositions, procédurales, financières et administratives ont pour objet d'en retarder les effets pour le locataire.
La multiplication de ces dispositifs de prévention (intervention des Fonds de Solidarité Logement, possibilité de suspendre dans certaines conditions la clause résolutoire, information du locataire dès le commandement du loyer ...) n'a cependant pas été suffisante pour réduire de façon sensible le nombre des demandes d'expulsion présentées devant les tribunaux.
En effet, les chiffres, qui avaient atteint 126.000 en 1992 et 1993 se sont stabilisés autour de 123.800 en 1994 et 1995 (Source : Répertoire général civil, ministère de la Justice, SDSED). Cela ne représente que 1,5 % des baux en cours dans les 8 millions et demi de logements locatifs ; ces effectifs sont à rapprocher des 87.000 dossiers déposés en 1996 devant les commissions de surendettement.
Cette situation, si elle s'explique avant tout par la montée du chômage, montre cependant que les dispositifs préventifs mis en place n'ont pas eu tout l'effet escompté :
Point de départ de la procédure, le commandement de payer, diligenté par un huissier, demeure sans conteste un acte efficace pour récupérer une dette. En revanche, son intérêt pour informer les personnes en difficulté de recours et aides dont elles disposent est très limité.
Les demandes de délais de paiement susceptibles de suspendre la résiliation du bail émanant du locataire dans les deux mois du commandement de payer sont inexistantes.
De même, peu nombreux sont les locataires qui se présentent à l'audience lorsqu'ils sont assignés.
Le locataire demeure le grand absent de la procédure d'expulsion (Rapport CNH, bilan 1995 de la loi du 31 mai 1990).
Dans les 93.235 jugements rendus en 1995, soit 76 % des demandes, le bail est résilié et l'expulsion prononcée. Seules 4 % des demandes sont rejetées. Dans 20 % des cas, l'affaire est retirée avant l'audience (Source : Répertoire général civil du ministère de la Justice SDSED).
Faute de pouvoir suspendre la résiliation du bail, les juges octroient au locataire des délais qui, ajoutés à la trêve hivernale, paraissent suffisants pour trouver des solutions.
L'intervention des Fonds Solidarité Logement prend des formes diverses selon les départements : elle est plutôt réservée aux locataires du parc social et généralement conditionnée à la reprise du paiement des loyers pendant trois mois ; elle apparaît souvent comme trop tardive.
La prise en charge de la dette n'empêche pas la résiliation du bail : la mise en oeuvre de la clause résolutoire contenue dans les contrats est automatique, et de ce fait, préalable à toute intervention sociale ; ceci rend en partie inefficaces les mesures mises en oeuvre pour résorber les impayés.
Des personnes occupent ainsi des logements, sans titre locatif, sans jamais être expulsées ; il n'est pas possible d'en connaître le nombre exact.
Même chose pour le nombre des locataires quittant leur logement sans jamais avoir été aidés, qui semble également important.
Seuls 5 % des jugements d'expulsion sont exécutés avec le concours de la force publique.
D'un point de vue formel, il apparaît que la procédure d'expulsion est relativement bien respectée par les bailleurs de locaux vides.
Les "expulsions canons" qui consistent à changer les serrures et vider l'appartement pendant l'absence du locataire ne semblent le fait que de certains bailleurs en meublé, intervenant dans des zones très urbanisées. Très minoritaires, ces pratiques sont d'autant plus inadmissibles qu'elles s'appliquent aux plus démunis : des condamnations pour violation de domicile, voies de fait et autres délits pourraient les faire disparaître.
Ces éléments résultent d'une enquête effectuée auprès du réseau des Agences Départementales d'Information sur le Logement, pour apprécier les conditions pratiques de mise en oeuvre de la procédure d'expulsion, depuis l'impayé jusqu'à l'expulsion.
Le point de vue des ADIL est celui de juristes qui, sans être des acteurs de la procédure, la connaissent bien : les conseillers sont en contact permanent avec les particuliers qu'ils soient propriétaires subissant des impayés, comme locataires confrontés à des difficultés de paiement et les directeurs d'ADIL participent fréquemment, en qualité d'experts, aux diverses instances départementales (PDALD / Plan départemental d'action pour le logement des défavorisés, CLH / Commission locale habitat, FSL / Fonds solidarité logement, SDAPL / Section départementale des aides personnelles au logement...), impliquées dans la prévention des expulsions et l'aide aux locataires en difficulté.