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L'Euro et la protection du consommateur relative à l'emprunt immobilier

ANIL, Habitat actualité, 23 novembre 1998


La plupart des pays membres de l'Union européenne s'efforcent d'encourager le développement de la propriété occupante ou, à tout le moins, d'accompagner l'aspiration de la majorité des ménages à devenir propriétaire. Cette politique ne fait que poursuivre une évolution amorcée depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Mais, aujourd'hui, le paysage économique et les contraintes qui en découlent, se trouvent assez profondément transformés : comment poursuivre les politiques d'encouragement à l'accession, c'est-à-dire engager les ménages dans des projets à long terme, dans un environnement sans inflation caractérisé par un horizon de plus en plus incertain : flexibilité des parcours professionnels, mobilité géographique des personnes, fragilité des cellules familiales ? Cette question justifie les réflexions en cours dans plusieurs pays sur les moyens à mettre en oeuvre pour sécuriser les opérations d'accession : le droit de la protection du consommateur et les exigences qui concernent son information en font partie. Mais tous ces dispositifs sont évidemment strictement nationaux et la mise en place de l'Euro va permettre à l'offre de crédits transfrontaliers, restée jusqu'à ce jour anecdotique, de se développer. La volonté de lever les obstacles à ces offres transfrontalières risque de venir bousculer les dispositions de protection du consommateur de chaque pays membre. Protection du consommateur et protectionnisme vont souvent de pair : c'est clairement le cas en matière d'offre de crédits. Cependant, si l'adoption de règles du jeu équitables entre les professionnels des différents pays est un objectif incontestable, il ne saurait être atteint au prix d'une régression de la protection du consommateur et donc de sa fragilisation.


Le développement des crédits transfontaliers

Depuis 1993, les établissements, à la condition d'être agréés par les autorités de leur pays d'origine, peuvent exercer, sans autre autorisation, l'activité agréée sur le territoire des autres Etats membres de l'Union européenne, sous deux formes encore peu utilisées : la libre prestation de services, c'est-à-dire l'intervention sur le territoire d'un autre Etat sans installation permanente, et le libre établissement qui consiste à créer une succursale qui est un siège d'exploitation dépourvu de la personnalité juridique.
Cependant, aujourd'hui, l'essentiel de l'activité des établissements de crédit dans des pays autres que leur pays d'origine se fait par l'intermédiaire de filiales dotées de la personnalité juridique du pays où elles interviennent. Mais avec l'Euro disparaît le principal frein au développement des crédits transfrontaliers : le risque de change, c'est-à-dire celui de voir ses mensualités de remboursements, exprimées dans la monnaie dans laquelle on perçoit ses revenus, s'accroître du fait d'une détérioration de la parité avec la monnaie dans laquelle on a contracté son emprunt.
D'autres éléments font toutefois que le prêt hypothécaire a toute chance de rester un produit majoritairement " domestique " : la pénétration d'un marché est nécessairement coûteuse, les produits financiers ne sont pas standardisés et les consommateurs sont habitués au type de prêt pratiqué dans leur pays ; ces prêts sont calibrés en fonction de la fiscalité locale et des méthodes locales d'expertise ; dans plusieurs pays, ils sont souvent majoritairement distribués par les établissements dont les emprunteurs sont déjà clients.
Pour la Fédération Bancaire Européenne, l'obstacle majeur qu'il convient d'éliminer réside dans la disparité des lois de protection du consommateur ; elle souhaite, à la seule exception de l'Association Française des Banques, que dans les domaines harmonisés par une directive européenne, les institutions financières puissent intervenir sans avoir à se plier aux règles, si elles sont plus strictes, du pays d'accueil ; les français sont d'un avis contraire, estimant que le droit du pays d'accueil doit s'appliquer


Le droit applicable aux crédits immobiliers transfrontaliers

Le crédit hypothécaire, à la différence du crédit à la consommation, n'a pas fait l'objet d'une directive européenne et la question du droit applicable aux crédits immobiliers transfrontaliers n'est pas tranchée. La deuxième directive de coordination bancaire est fondée sur la reconnaissance mutuelle des systèmes juridiques afin de faciliter la libre circulation des produits financiers : " Les Etats membres doivent veiller à ce qu'il n'y ait aucun obstacle à ce que les activités bénéficiant de la reconnaissance mutuelle puissent être exercées de la même manière que dans l'Etat membre d'origine, pour autant qu'elles ne soient pas en opposition avec les dispositions légales d'intérêt général en vigueur dans l'Etat membre d'accueil ".
Cependant, les dispositions de la loi française de protection de l'emprunteur immobilier pourraient être opposées au prêteur à la condition " qu'elles s'appliquent de manière non discriminatoire, qu'elles se justifient par des raisons impérieuses d'intérêt général, qu'elles soient propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et qu'elles n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre " et " que cet intérêt ne soit pas déjà sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'Etat membre où il est établi " (cf. Communication interprétative de la Commission / Liberté de prestation de services et intérêt général dans la deuxième directive bancaire). En l'absence d'une directive sur le crédit hypothécaire, ces difficultés d'interprétation n'auront de solutions que jurisprudentielles, une directive ne suffirait d'ailleurs pas à répondre à toutes les questions (cf. cf. Alain Gourio in "Les petites affiches", 29 avril 1998).
Au demeurant, le fait de savoir si une telle directive est souhaitable fait l'objet de vives controverses entre les institutions représentatives des professionnels du crédit hypothécaire des différents pays, toutes se retrouvant néanmoins pour fonder leurs argumentations divergentes sur la défense de l'intérêt du consommateur :

  • Les anglo-saxons veulent, avant tout, écarter toute tentation de la commission de réglementer un domaine contractuel : ils ont réussi à transposer au niveau européen la démarche qu'ils conduisent au plan national et qui consiste à élaborer un code de conduite négocié avec les associations de consommateurs. Au Royaume-Uni, cette négociation menée par le Council of Mortgage Bankers vise notamment à prévenir l'intervention du législateur en matière d'assurances décès-incapacité-perte d'emploi. Les néerlandais sont assez proche de cette façon de voir.
  • Les Allemands seraient favorables à une harmonisation maximale, à la condition qu'elle se fasse sur les bases de leurs propres pratiques.
  • Les Français sont arc-boutés derrière les acquis de la protection du consommateur français qui leur apparaissent, à la condition d'être appliqués aux crédits offerts par des établissements étrangers, la meilleure garantie contre la concurrence étrangère ; ils invoquent le risque de voir chaque pays membre tenté de réduire le niveau de sa protection du consommateur pour être plus favorablement placé sur les marchés étrangers ; il s'agirait d'un "dumping social" appliqué au droit de la consommation. En outre, ils aimeraient saisir cette occasion pour affirmer l'urgence de revenir sur les modalités actuelles de plafonnement de l'indemnité de remboursement anticipé (cf. ANIL Habitat Actualité n° 50, mai 1995).

Au sein même de la Commission, les sensibilités sont différentes selon que l'on s'adresse à la DG XV, chargée des services financiers, ou à la DG XXIV, responsable de la politique des consommateurs. L'une s'attache à favoriser la croissance des services transfrontaliers, l'autre à la protection du consommateur.
De façon très concrète, les obstacles majeurs à la comparaison des offres portent avant tout sur l'expression du taux et sur les conditions de remboursement anticipé.


L'expression du taux

Rien ne saurait justifier l'absence d'une unité de mesure commune pour le coût des prêts. Il s'agit, à la fois, d'assurer les conditions d'une concurrence équitable entre offreurs de crédit et de protéger le consommateur, qui doit pouvoir choisir en toute connaissance de cause. Les difficultés de la définition d'un TAEG européen en matière hypothécaire ont été bien identifiées et il ne subsiste aucun obstacle insurmontable.

  • S'agissant de la méthode de calcul, le choix de la méthode équivalente peut être considéré comme un acquis, même si la France et l'Allemagne retardent le moment où elles l'adopteront. Au demeurant, la conjoncture actuelle favorise un passage en douceur d'une méthode à l'autre : un taux de 14,6 % en proportionnel équivaut à un taux de 15,6 % en actuariel, alors que la même opération, au niveau actuel des taux, porte le taux proportionnel de 5 % à 5,12 % en actuariel ; l'effet d'affichage, autrefois redouté, serait aujourd'hui presque imperceptible.
  • Une approche réaliste paraît aller en faveur d'une définition relativement étroite du TAEG, en recul par rapport à certaines réglementations nationales : c'est la seule solution compatible avec des pratiques hypothécaires très diversifiées. En tout état de cause, on observe que dans les pays, comme la France qui ont une définition très large du TAEG, la publicité ne se fait pas sur le TAEG mais sur le taux " sec ", c'est-à-dire celui qui résulte du seul paiement des intérêts : le consommateur y est perdant, puisque les offres publicitaires jouent un rôle important dans son choix.
  • Il va sans dire que l'information du consommateur ne se réduit pas au seul TAEG et qu'une liste normative devrait fixer les informations qui accompagneront obligatoirement le contrat de prêt, voire l'offre, si cette procédure devait devenir impérative. Or ceci ne peut résulter d'un code de conduite : une directive est nécessaire, comme il en est intervenue une pour le crédit à la consommation.


Le remboursement anticipé

Il reste que la question du remboursement anticipé correspond à une difficulté majeure. Le fait de pouvoir aisément, et à faible coût, rembourser son prêt par anticipation est une qualité intrinsèque du prêt, qui ne peut pas être négligée lors d'une analyse comparative des offres. Les pratiques dans ce domaine sont délicates à rapprocher, tant elles correspondent à la conception de chaque pays en matière d'adossement des prêts et de règles prudentielles.
Ce problème soulève aussi des questions d'un autre ordre, liées à la mobilité des personnes, mais aussi à la vulnérabilité inégale des encours des différents établissements, selon qu'ils sont ou non remboursables à faible coût. Les français sont inquiets de la menace que feraient peser sur leur encours des propositions de crédits substitutifs émises par des banquiers qui seraient eux-mêmes à l'abri d'une démarche identique, parce que protégés par l'interdiction ou le coût élevé des remboursements anticipés. Les allemands, eux, souhaitent pouvoir proposer des prêts adossés à leurs obligations foncières, les "pfanbriefe"; or ceci exclut, du moins dans leur usage actuel, toute possibilité de remboursement anticipé. En effet, les obligations foncières restent dans le bilan de la banque émettrice, ce qui suppose une congruence parfaite entre le terme des obligations et celui des crédits hypothécaires. Au contraire, si l'on recoure à la technique de la titrisation, le risque de remboursement anticipé est transmis à l'investisseur, les parts de fonds commun de créances, les " mortgage backed securities " sortant du bilan de la banque. C'est ce qui permet aux Etats-Unis de titriser des crédits à taux fixe remboursables par anticipation sans pénalité. Le recours à la Caisse de refinancement hypothécaire, en France, permet aussi, grâce à un calibrage approprié de s'accommoder des contraintes de remboursement anticipé. La solution préconisée par les allemands reviendrait à considérer que le plafonnement de l'indemnité de remboursement anticipé/IRA relève de l'arsenal protectionniste et que l'emprunteur doit pouvoir librement recourir à un crédit offert par l'établissement de son choix ; ce faisant, il opte pour le type de protection dont bénéficie l'emprunteur du pays d'origine du prêteur ; dans le cas d'un emprunt souscrit auprès d'une banque allemande, il renonce de facto à toute possibilité de remboursement anticipé au cours des dix premières années.
Mais, chaque pays a sa conception de la protection du consommateur : dans la tradition française, la loi vous protège aussi contre vous-même, c'est notamment l'objet des délais de réflexion : les quelques exemples de crédits transfrontaliers douteux proposés dans les années passées, souvent acceptés par les emprunteurs les plus fragiles, justifient cette prudence ; les règles de protection du consommateur, et notamment celle qui concerne le plafonnement de l'IRA, ne sauraient être optionnelles.


Quel niveau d'harmonisation ?

Tout ceci pose la question niveau d'harmonisation souhaitable des réglementations au sein de l'Union européenne. L'organisation du marché du crédit, ses modalités de refinancement, les systèmes d'aide publique au logement, le droit des contrats et les traditions en matière de protection des consommateurs diffèrent très fortement d'un pays à l'autre. Il ne peut être question d'unifier parfaitement les conditions de l'offre de crédit hypothécaire au sein de l'espace formé par les différents pays membres, alors même que cet objectif n'est pas encore atteint au sein de chacun d'entre eux.
Peut-on trouver une voie pour l'harmonisation des dispositifs de protection du consommateur dans la méthode qui a été suivie pour l'établissement des critères de convergence et qui consistait à prendre la moyenne entre les trois meilleures performances de l'ensemble des pays en matière de déficit budgétaire, d'inflation et de taux ? Il serait difficile d'établir ce que sont les trois meilleures performances en matière de protection du consommateur. Force est de reconnaître que cela n'a pas de sens, nombre des dispositions protectrices ayant une contrepartie directe en terme de coût ; le plafonnement de l'IRA en est une illustration.
Les approches de la protection du consommateur diffèrent notablement selon les Etats membres : elles peuvent être schématiquement classées.

  • Réglementation stricte concernant la protection du consommateur : France, Espagne, Belgique, Irlande, Suède
  • Réglementation des établissements de crédit hypothécaire : Allemagne, Danemark, Suède, Autriche, Grande-Bretagne
  • Réglementation stricte des produits Allemagne, Autriche
  • Codes de conduites Grande-Bretagne, Pays-Bas, Danemark

En outre, la constitution d'un marché unique européen n'exige pas une uniformisation des procédures. L'exemple des Etats-Unis montre qu'un marché unique peut fort bien s'accommoder de règles du jeu diversifiées selon les Etats : ainsi, une offre extrêmement centralisée et normalisée au niveau fédéral alors que des différences notables existent entre les Etats confédérés ; pour ne prendre qu'un exemple, onze d'entre eux interdisent toute indemnité de remboursement anticipé sans interdire pour autant une titrisation des crédits au niveau fédéral.
De la même façon, on observe que les mêmes crédits sont rachetés par les agences de titrisation, FannieMae ou FreddieMac, au même prix dans des Etats dont les voies d'exécution sont très hétérogènes, - six mois pour une saisie dans le Texas, contre deux ans dans le New Jersey -, sans conséquence sur le taux du prêt.
L'harmonisation, si elle se fait, sera nécessairement très progressive. En attendant, le droit de protection ne peut être optionnel et dans un souci de maîtrise des risques, il est essentiel que l'emprunteur dispose des mêmes possibilités quel que soit le pays d'origine du prêteur auquel il s'adresse.


Maintenir les dispositifs protecteurs du pays d'accueil

La règle selon laquelle les dispositions de protection du consommateur qui s'appliquent sont celles du pays d'accueil est la plus satisfaisante ; c'est aussi la plus simple et la plus compréhensible pour le consommateur qui voit maintenues les règles auxquelles il est accoutumé. Cela épargne la difficulté d'établir, à tout le moins dans un premier temps, un dispositif européen de protection qui fasse table rase des spécificités nationales.
Il est vrai que cette formule restreint parfois l'usage, dans un pays membre, de certaines pratiques licites dans un autre ; ainsi les allemands devront-ils adapter leurs procédures s'ils veulent intervenir en France, de la même façon les britanniques ne pourront pas proposer de prêts à taux variables sans que les conditions de révision fassent référence à des index indépendants.
Sachant que, dans un domaine aussi concurrentiel que le crédit au logement, le bénéfice attendu d'un élargissement supplémentaire du marché est très hypothétique, cette solution, qui n'autorise pas tout, permet de définir, au moins provisoirement un cadre réaliste au futur marché unique du crédit hypothécaire, tout en garantissant le maintien de l'acquis de chaque pays en matière de protection de l'emprunteur. On imagine mal les associations françaises de consommateurs renoncer à des éléments de protection au seul motif qu'ils constituent une entrave aux possibilités d'intervention des professionnels d'autres pays membres.
Maintenir les règles auxquelles les citoyens de chaque pays sont accoutumés éviterait d'ajouter un traumatisme supplémentaire à celui qui résultera du changement d'unité monétaire.


Et d'abord informer !

Mais quel que soit le rythme de l'harmonisation et quelle que soit la solution retenue, qu'intervienne ou non une directive sur le crédit hypothécaire, une première exigence concerne l'information neutre de l'emprunteur ; celui-ci va se trouver confronté à des offres de plus en plus diversifiées et à des règles du jeu renouvelées. Ceci confère une nouvelle dimension au rôle des ADIL. Mais ces nouvelles responsabilités vont avec de nouvelles exigences : des conseillers dont le champ de compétence se limite naturellement aux seules pratiques de leur propre pays devront être au fait de la diversité des produits financiers, des procédures, des garanties et des voies de recours désormais susceptibles d'être proposés ou mis en oeuvre. L'ANIL s'efforcera de leur en donner les moyens en multipliant les études comparatives, en multipliant les échanges et en tissant des relations permanentes avec des experts d'autres pays européens.

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