Des problèmes de frontière entre le contrat de construction d'une maison individuelle avec fourniture du plan et le contrat de maîtrise d'oeuvre
N° 1992-06 / A jour au 30 septembre 2008
Le Code de la Construction et de l'Habitation réglemente de façon précise quatre contrats auxquels il peut être fait recours dans le domaine de la construction de maisons individuelles :
- le contrat de construction d'une maison individuelle avec fourniture du plan de l'article L. 231-1
- le contrat de construction d'une maison individuelle sans fourniture du plan de l'article L. 232-1
- la vente d'immeuble à construire régie par l'article L. 261-10
- le contrat de promotion immobilière de l'article L. 222-1.
Le contrat de maîtrise d'oeuvre
Le prototype du contrat de maîtrise d'oeuvre est le contrat d'architecte. Si on se réfère à ce contrat, le contrat de maîtrise d'oeuvre a pour objet dans le cadre d'une mission normale :
- la conception du projet (établissement des plans) ; il s'agira d'un projet particulier adapté aux goûts et aux moyens du client ;
- l'établissement des devis estimatifs et quantitatifs
- la recherche des entreprises et la proposition des marchés. Le maître d'oeuvre traite presque toujours par " lots séparés " et non avec une entreprise générale. Il met divers artisans en compétition (la plupart du temps), ce qui permet de "tirer" les prix. Il conseille le client sur le choix des entreprises mais c'est le client qui signe les marchés
- la coordination et le contrôle des travaux, le respect des délais. Le maître d'oeuvre est " l'allié " du client. Il doit effectuer un réel contrôle des travaux et contraindre les entreprises au respect des délais. C'est le client qui paie les entreprises après avis du maître d'oeuvre, ce qui implique que les travaux soient réalisés et bien réalisés
- l'assistance à la réception de l'ouvrage (même remarque que pour le contrôle des travaux)
Les conditions d'application du contrat de maîtrise d'oeuvre
Dès lors que le maître d'oeuvre s'en tient rigoureusement à des actes de conception architecturale, d'assistance au maître de l'ouvrage, de surveillance de travaux et d'assistance à réception de l'ouvrage, il n'y a pas lieu de lui opposer le statut de constructeur au sens de l'article L. 231-1. Certes, le contrat de maîtrise d'oeuvre implique nécessairement l'établissement de plans et de devis mais aux termes de l'article L. 231-1 du CCH, le contrat de construction d'une maison individuelle avec fourniture du plan n'est obligatoire que dans la mesure où la personne qui propose ou fait proposer le plan est celle qui se charge de la construction.
C'est sur ce point qu'existe la différence essentielle entre le contrat de maîtrise d'oeuvre et le contrat de construction d'une maison individuelle avec fourniture du plan. Si le contrat de maîtrise d'oeuvre ne prévoit nullement la réalisation matérielle de la construction mais que celle-ci est assurée par des entreprises choisies et agréées par le maître de l'ouvrage et avec lesquelles celui-ci a conclu des marchés de travaux, il n'y a pas lieu, en principe, de requalifier la convention passée.
Les solutions jurisprudentielles
Une requalification systématique des contrats de maîtrise d'oeuvre n'est pas opportune en droit sauf si le constructeur s'efforce d'apparaître comme un faux maître d'oeuvre. Une analyse rigoureuse de chaque situation de fait est nécessaire. S'il s'avère que le maître d'oeuvre a bien, selon les termes du contrat et/ou les conditions qui ont entouré la conclusion du contrat, la charge de la construction (c'est-à-dire la maîtrise de l'opération), la jurisprudence requalifie le contrat de maîtrise d'oeuvre en contrat de construction de maison individuelle. Deux arrêts de la Cour de Cassation illustrent cette règle. Ils sont antérieurs à la date d'entrée en vigueur de la loi du 19.12.90 relative au contrat de construction d'une maison individuelle mais restent, bien entendu, d'actualité.
Ainsi, la clause d'un contrat accordant au maître de l'ouvrage la conclusion des marchés et le règlement des factures n'est pas un critère suffisant dès lors que le maître de l'ouvrage n'a "aucune liberté de choix dans l'exécution de la construction en raison de la brièveté des délais imposés par le remplacement éventuel des entrepreneurs choisis par la société..." (Cass. Civ. III 31.1.90). Dans un arrêt du 5.12.90, la Cour de Cassation consacre cette solution en considérant comme purement formelle la clause d'un contrat accordant au maître de l'ouvrage le choix des entrepreneurs dès lors que le prix proposé par la société imposait au maître de l'ouvrage de recourir aux seules entreprises avec lesquelles elle avait l'habitude de traiter.
La combinaison de ces deux arrêtés permet de proposer un critère essentiel du contrat de maîtrise d'oeuvre : le maître de l'ouvrage doit avoir et garder l'entière liberté du choix des entreprises dans l'exécution de la construction. Cette liberté du choix des entreprises implique l'existence d'appels d'offres sur la base d'un prix estimatif fixé par le maître d'oeuvre. Toute disposition dans un contrat de maîtrise d'oeuvre, qui démontre, que sous couvert d'une telle convention, le maître d'oeuvre s'oblige en réalité à réaliser selon les modalités et conditions de prix prévues, la construction définie au contrat, autorise la requalification. Par exemple, le clause dans un contrat de maîtrise d'oeuvre fixant le coût de la construction à "x" euros et précisant que le prix est ferme et définitif si les travaux commencent dans un délai de quatre mois (par exemple) suivant la signature du contrat de maîtrise d'oeuvre, montre à l'évidence que le maître d'oeuvre a la maîtrise de l'opération et qu'il agit en définitive comme constructeur.
Ce sera d'autant plus vrai si une clause " oblige " le maître de l'ouvrage à accepter les différentes entreprises choisies par le maître d'oeuvre (peu importe que les marchés de travaux soient signés par le maître de l'ouvrage).
Un arrêt postérieur à l'entrée en vigueur de la loi du 19.12.90 va toujours en ce sens. Il a considéré qu'est purement formelle la clause d'un contrat accordant au maître de l'ouvrage le choix des entrepreneurs dès lors que le prix proposé par la société imposant au maître de l'ouvrage de recourir aux seules entreprises avec lesquelles elle avait l'habitude de traiter.
De plus, les conditions ayant entouré la conclusion du contrat démontraient que le maître de l'ouvrage ne connaissait que cette société de sorte que la Cour d'appel a pu, à bon droit, retenir la qualification de contrat de construction de maison individuelle (Cass. Civ. III : 20.6.01).
Conclusion
Il faut retenir de la jurisprudence et de la définition que nous avons donnée de la mission du maître d'oeuvre quatre critères pour déterminer si, sous l'apparence d'un contrat de maîtrise d'oeuvre, le maître d'oeuvre ne camoufle pas un véritable contrat de construction.
Ces critères sont les suivants :
- la répétitivité ou l'originalité du plan ;
- une publicité portant ou non sur un prix établi d'avance ; le maître d'oeuvre qui propose le plan d'une maison figurant sur un catalogue de modèles types moyennant un prix établi d'avance camoufle sans doute un constructeur (Cass. Civ. III 5.12.90) ;
- la proposition ou non d'un prix forfaitaire ; la mission du maître d'oeuvre consiste à aider le client à obtenir la construction au meilleur prix ;
- l'existence ou non d'un lien avec les entreprises.
Le maître d'oeuvre qui envoie systématiquement le client aux mêmes entreprises et surtout à une entreprise générale montre qu'il n'y a pas eu la phase de discussion des marchés et la collusion entre le maître d'oeuvre et les entreprises est dans ce cas plus que probable. Il n'est pas nécessaire que ces critères soient cumulativement réunis : le maître d'oeuvre pourra être considéré comme constructeur s'il apparaît, selon le contenu général de la convention et les conditions qui ont entouré sa signature, comme le véritable responsable de la construction.